DINA MAHOUNGOU – Un état de gravité intérieure
Né au Congo-Brazzaville, Michel Mouhoungou Kanza a étudié (études primaire et secondaire) au Congo, avant d’arriver à Paris à l’âge de 18 ans.
Il prendra le pseudonyme de Dina Mahoungou pour sa création littéraire.
Il poursuit ses études -Lettres modernes- et obtient une Maîtrise ès lettres à Paris VIII, Vincennes. Ensuite, Dina Mahoungou poursuit des études en Langues’O Sorbonne nouvelle Paris V.
Rentré au Congo, il travaille comme journaliste culturel à Télé Congo, coproduit l’émission « La voix du poète » qu’il anime. Il enseignera ensuite la littérature à l’ENI d’Owando. Après la guerre de 1993, à cause de l’insécurité au pays, il repart en France en 1996.
Il bénéficie d’une bourse du conseil général de Paris. Il se spécialise dans les Etudes supérieures gestion des affaires internationales (1997-1999), avec l’option « Géopolitique et stratégie d’entreprises ». Il enseigne dans un lycée privé le Français (1999 à 2000). Il participe au concours externe de la ville de Paris – objet : « Environnement et espaces verts » Fonctionnaire titulaire depuis 2004, il est à la pré-retraite en 2020 et sera retraité en 2021.
L’exil, un temps rêvé pour écrire ?
L’écriture fascine et provoque de la répulsion. La lecture d’un livre, la Bible y compris, peut modifier toute existence. Elle est tributaire de la manière dont elle laisse sa trace. Même Céline ou Sade qui sont de grands auteurs au-delà des clichés dont on les affuble, ont créé des personnages célestes issus des croisements les plus inattendus dans le récit de leurs aventures.
Du Congo en France, dans l’éclosion de votre vie et création, les voyages marquent de manière indélébile !
Nous avons la bougeotte dans le sang. Mon grand-père paternel était un fonctionnaire colonial. Gustave Kandza était affecté dans les PTT et a fait la seconde guerre mondiale en France. En Oubangui-Chari, il a aimé une dame. Mon père est né à Berberati et y a suivi une partie de sa scolarité à l’école des instituteurs.
Mon grand-père maternel était un grand propriétaire terrien et chef d’entreprise, devenu pasteur Kimbanguiste : Mapakou Thomas. Il a voyagé tout le temps pour délivrer la bonne parole à ses ouailles.
Avec mes parents nous avons voyagé dans le pays, mon père était enseignant. Les voyages étaient et sont pour nous quelque chose de normal. C’est une grande richesse qui nourrit l’esprit. Mes écrits aussi voyagent !
« Les parodies du bonheur » : pourquoi parodies, un bonheur réel n’existe donc pas ?
Je suis un mélancolique qui veut créer un monde, je lui insuffle une représentation du réel en mélangeant le réalisme et l’imaginaire puisque nous vivons dans une période d’incertitudes et d’interrogations. L’art narratif que j’utilise dans ma création s’appuie sur une structure ouverte, une errance.
Beaucoup, comme le critique Noël Ramata Kodia, ont pensé que votre roman « Une contrée sauvage » est un éco-roman, en comparaison avec « La légende de M’Pfoumou Ma Mazono » de Jean Malonga : qu’en dites-vous?
« Une contrée sauvage » signifie la folie de notre époque, un Congo disloqué, désaxé, le pays de toutes les douleurs. Je recours au merveilleux, la nature, les paysages, je crée cette aventure pittoresque en produisant de multiples ambiguïtés à travers plusieurs personnages. C’est une fable, un bestiaire. En cela, c’est bel et bien un éco-roman.
Un éco-roman où la femme est l’actrice de son destin ?
La femme est primordiale dans mes écrits. Elle surmonte de nombreux écueils, elle souffre à travers maints déséquilibres. Son importance dans l’histoire de la littérature mondiale est colossale : « Madame Bovary » de Flaubert, « Hakoula » dans « la légende de M’Pfoumou Ma Ma Zono » de Jean Malonga. Chez la femme, on trouve surtout un état de gravité intérieure. Décrire la femme s’achemine de plus en plus vers une représentation fragmentaire et absolue de la réalité du monde.
« Agonies en Françafrique » : pourquoi le pluriel ici et à quel niveau se situent donc ces agonies ?
« Agonies en Françafrique » a été difficile à écrire. C’est une marche funéraire d’une puissance terrifiante. Le temps passé de la guerre civile est réapparu en moi, c’était très traumatisant de penser aux parents, aux amis qui sont morts pendant les tristes événements. Tous les protagonistes de ce livre sont agonisants, les vaincus, les pauvres gens avec leurs émotivités excessives, les conquistadors, le pays, la famille, on se croirait dans « La divine comédie » de Dante. Tout ce méli-mélo chez les pauvres quidams, révoltés à la hauteur de leurs frustrations est féérique.
La guerre dans vos romans est omniprésente : serait-ce une façon de l’évacuer de votre homme intérieur ?
Ce qui est triste, c’est l’aventure de la désillusion. On étudie à l’étranger, on rentre au pays avec ses bagages, on retrouve sa famille, on est heureux chez soi et subitement, tout est déréglé dans un huis clos épouvantable : villa cassée et pillée, famille désunie, il n’y a plus rien et il faut tout recommencer à zéro. C’est la poisse, les gens usés, ébranlés, ahuris. Des personnages poignants ravalés au rang d’attraction.
Dans « Ô pays, couleur de cendre », vous mettez en scène un pygmée, une race d’homme presque disparue : est-ce pour un devoir de mémoire ?
La réalité de « Ô pays, couleur de cendre » est un livre tendu, cruel, sombre et sans concessions. Cet ouvrage ramène au suicide et à la mort, il n’y a pas d’autres issues, tout le monde doute. C’est une lecture triste et épique du moment, tout le pays est compromis et s’arrange avec la réalité. Quant aux pygmées, héros carnavalesques, au premier plan, ceux-ci décident de réinventer leur propre légende.
Comme l’ont bien indiqué nos maîtres à tous, Cervantès dans « Don Quichotte », et plus près de nous, Céline dans « Le Voyage », nous tentons d’atteindre un haut niveau de qualité narrative par une structure feuilletée, qui, selon Levi Strauss tient pour caractéristique du mythe.
S’agissant de poésie, vous avez participé à la rédaction de l’anthologie de poésie « Dis à la nuit qu’elle cache son visage » initiée par les auteurs Liss Kihindou et Frédéric Ganga. Qu’avez-vous aimé de cette collaboration ?
Le principe de l’anthologie est quelque chose de divin, écrire sur un thème donné avec ses consœurs et ses confrères est très enrichissant. J’y ai trouvé une sorte de renaissance, le fait de cohabiter avec des élites, du plus jeune au plus expérimenté des auteurs congolais m’a beaucoup intéressé. Dans un premier temps, avec Aimé Eyengué, ensuite avec Liss Kihindou et Frédéric Ganga, qui sont de véritables meneurs d’hommes et de femmes.
Des livres en chantier ?
J’ai d’autres projets en cours, une collaboration avec le grand poète Bilombo Samba Jean-Blaise.
Un mot pour votre lectorat ?
Je souhaite apporter mon amitié à tous ceux qui y participent et espère un grand succès à leurs ouvrages, auquel ils peuvent prétendre. Comme l’a si bien dit Tchicaya U’Tamsi à propos de « la parole » ou de « l’écriture » dans « légendes africaines » : « Toute chose classée, me semble-t-il, perd toute l’énergie qu’elle gagne en puissance d’être intimement laissée au contact des autres choses ».
Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo