Rita Fabienne Lokanga Moumbounou : La lecture me permet de me souvenir, d’être et de devenir

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

Rita Fabienne Lokanga Moumbounou : La lecture me permet de me souvenir, d’être et de devenir

Rita Fabienne Lokanga Moumbounou 

La lecture me permet de me souvenir, d’être et de devenir

Rita Fabienne Lokanga Moumbounou est une autrice et activiste culturelle née à Brazzaville, en République du Congo, de parents originaires de la République démocratique du Congo. Elle a grandi dans une famille modeste. Sa mère était ménagère et son père, professeur d’histoire et géographie. Ses parents étaient séparés depuis sa naissance mais avaient su rester en bons termes…

Les années passent, elle étudie et obtient un baccalauréat en série D en 2013, un brevet de technicien supérieur commercial en 2015 et une licence en administration des entreprises en 2016.

Une enfance entre deux maisons ?

J’ai passé une partie de mon enfance en faisant des allers-retours entre mes deux parents. J’habitais chez mon père pendant la période scolaire, et chez ma mère, pendant les grandes vacances. Ça a duré comme ça jusqu’à mon arrivée au lycée. Les congés chez maman ont été vite remplacés par des allers-retours chez mes sœurs aînées, pour aider dans la vie de tous les jours. 

Et la vie continue son cours                                                                                                               

Oui. Malgré mon baccalauréat en série D en 2013, mon brevet de technicien supérieur commercial en 2015 et une licence en administration des entreprises en 2016, je n’ai pas pu poursuivre mes études en 2017, après la mort de mon père, faute de moyens. En outre, cette année m’a permis de décrocher un emploi chez un opticien. Je n’y suis restée finalement que trois mois, de septembre à novembre, avant de décider de reprendre mes études.

Pourquoi reprendre les études ?

Je voulais absolument obtenir un Master. Je suis donc repartie à l’école. J’ai dû apprendre à confectionner des perruques avec des mèches pour pouvoir payer mes études. Quelques mois plus tard j’ai décroché un poste de conseillère à la clientèle dans une grande entreprise de télécommunication de Brazzaville. Je n’ai pu entamer ma deuxième année de Master par ce que les horaires ne m’arrangeaient pas. Je suis alors restée dans cette entreprise de juin 2018 jusqu’à janvier 2024.

Aviez-vous des livres à la maison quand vous étiez enfant et ont-ils joué un rôle déterminant dans votre cheminement de vie? Quelle place leur attribuez-vous dans votre quotidien?

Il y a toujours eu des livres à la maison. Mon père ayant été lui-même un grand lecteur. On avait deux grosses malles en fer remplies de livres. Un jour il a ouvert une malle et ça été le début d’une belle aventure. Au début, mon père a guidé mes lectures. Il me disait : « Je veux que tu lises ceci ou cela. » Ces livres m’ont permis, très jeune d’avoir une ouverture d’esprit, d’acquérir un certain raisonnement, d’explorer et de créer d’autres univers et de considérer le monde comme un grand livre ouvert.

Une belle expérience, en somme

Effectivement ; après mes toutes premières lectures j’ai commencé à écrire ! J’aimais ça.  Un des facteurs les plus importants est que la lecture m’a aidée à traiter un grand problème de trou de mémoire que j’avais développé à partir du collège. J’étais presque incapable de me souvenir de ce que j’avais fait la veille. Ce n’est que bien des années plus tard, en découvrant quels bienfaits pouvaient apporter la lecture régulière d’un livre, que j’ai compris comment ce problème de mémoire avait soudainement disparu. Aujourd’hui, je dirais que la lecture me permet de me souvenir, d’être et de devenir.

Comment vous est venue la très bonne idée d’installer des boîtes à livres dans les des espaces publics de Brazzaville?

Les boîtes à livres ENVIE DE LIRE BOX sont une extension d’un projet de promotion de la lecture et du livre en milieu public et sur les réseaux sociaux que j’ai appelé ENVIE DE LIRE. Chaque action entreprise est le résultat d’un questionnement autour de l’absence de la culture de lecture dans le milieu congolais. « Les congolais lisent-ils vraiment ? » « Combien de congolais lisent-ils ? » « Combien de congolais ont été en contact avec des livres ? » « Pourquoi les bibliothèques ne sont-elles pas souvent fréquentées ? » « Que faut-il faire pour intéresser les jeunes à la lecture ? » surtout, « Comment rapprocher le livre de la population et arriver à lui communiquer une culture de lecture, sachant que la plupart des jeunes viennent de familles pour lesquelles l’art ne présente aucun intérêt ? »

Et  l’idée a suivi son cours

Exactement. J’ai commencé à penser qu’il fallait d’abord casser cette idée trop élitiste de la lecture qui voudrait que le livre et la lecture ne soient réservés qu’à une certaine catégorie de personnes. Qu’il fallait montrer le rapport direct entre le livre et la réalité pour que les gens cessent de penser que lire ne permettait qu’au lecteur de plonger dans un rêve ou une réalité utopique ; et enfin, dire exactement ce que ces jeunes auraient à gagner en instaurant une culture de lecture dans leur quotidien et comment la lecture pouvait les aider à l’améliorer ou le changer en devenant des cerveaux penseurs et des leaders.

L’idée a donnée des fruits

C’est comme ça qu’ont débuté les challenges littéraires que j’appelais ENVIE DE LIRE CHALLENGE. Le premier était uniquement destiné au public sur les réseaux sociaux, cela consistait à trouver vingt et deux références littéraires enfouies dans un extrait de Verre Cassé du romancier Alain Mabanckou afin de remporter le livre Cave 72, un roman de Fann Attiki, qui venait de gagner le Prix Voix d’Afriques 2021, avec une dédicace de l’auteur. C’est un jeune de la RDC qui l’avait remporté.

Après le premier challenge, est arrivé le deuxième?

Le deuxième challenge lui, a été plus ludique autant pour les challengers que pour moi, cela consistait pour le challenger, à relever le défi de lecture d’un livre pendant une semaine, dans le but d’en faire un retour de lecture sur les réseaux sociaux. Pendant trois weekends, j’ai pris une pile de livres de ma bibliothèque et je suis allée, souvent accompagnée d’un.e invité.e, dans les rues de Brazzaville aborder à la foulée des inconnus qui pourraient accepter de se prêter à ce jeu. J’ai visé tous les recoins où je pouvais trouver du monde, même dans des bars. Mon choix se portait uniquement sur les personnes n’ayant jamais ou peu souvent lu un livre. Je voulais être témoin de cette première expérience et de ces premiers ressentis. C’était également une occasion de faire un sondage sur les habitudes de lecture. Chacun devait répondre à la question de savoir s’il y’avait des personnes autour d’eux qui lisaient et si selon eux, cette rumeur qui disait que les Congolais ne lisaient pas était-elle vraie et justifiée. Les challengers partaient avec les livres qu’ils choisissaient de lire, je notais leurs contacts et on se donnait rendez-vous un jour avant le retour de lecture pour une vérification.

Des résultats attendus ?

Sur douze livres misés, neuf avaient été lus et nous avons eu un retour de lecture de seulement six. Les challengers ayant respecté leur part du marché ont bénéficié, à part le livre choisi pour la lecture, d’un abonnement d’une année dans une bibliothèque et d’une somme symbolique pour l’achat de leurs premiers livres. Les vidéos sont encore disponibles sur mes comptes Facebook et Instagram. Je n’avais pas de financement extérieur, donc tout était sorti de ma poche.

Consolider ces résultats était-il devenu un but à atteindre ?

J’ai alors conclu que la culture de lecture ne tombait pas du ciel, qu’il n’existait pratiquement aucune culture de lecture dans les familles et que très peu de jeunes découvraient la lecture par curiosité. Il fallait donc multiplier les actions pour les initier à la lecture. En dehors de celles qui se font dans des écoles. Pourquoi ne pas trouver un moyen simple d’emmener le livre vers la population, de le rendre visible et disponible partout dans la ville afin que les jeunes viennent naturellement vers la lecture et que cela soit enfin considéré comme quelque chose de normal et de primordial ? J’ai alors pensé aux boîtes à livres.

Comment faites-vous fonctionner une boite à livres ?

La boîte à livres ENVIE DE LIRE BOX fonctionne comme une bibliothèque classique. La seule différence c’est qu’elle est jusqu’à lors, gratuite et sans abonnement. Elle a des horaires définis et un personnel, sur place, pour veiller à son bon fonctionnement, à l’enregistrement des informations des lecteurs et lectrices et veiller à ce que chacun rapporte le livre après la lecture qui se fait uniquement sur place. Les livres sont retirés et remplacés par d’autres au bout de trois mois. Et depuis peu nous avons opté d’organiser des rencontres autour de la boîte.

Quels sont les personnages qui visitent votre première boîte à livres à la Place publique du Rotary?

La boîte est visitée par des passants et toute personne ayant entendue ou pas parler du projet. Elle est placée dans un lieu choisi aussi dans le but qu’elle soit visible par tous et qu’elle parvienne à attirer l’attention. Elle est de temps en temps visitée par quelques jeunes stars congolaises, quelques artistes et quelque fois, des écrivains.

Quels sont les livres que vous proposez aux visiteurs? Les institutions et les auteurs vous aident-ils à garder la boîte toujours pleine de livres?

Notre but est de promouvoir la lecture pour tous, peu importe l’âge. Lire éviter le déclin cognitif précoce. Sachant que nous n’avons pas les mêmes préférences de lecture, vous trouverez des BD, magazines, romans, nouvelles, théâtres, mais aussi des livres sur le développent personnel, des livres scientifiques. Nous n’avons pas encore de livres à connotation religieuse. Nous voulons que chacun se sente libre et en parfait symbiose de venir à la boîte de livres. Nous mettons le plus en avant la littérature noire. Qu’elle soit africaine, afro-caribéenne ou africaine-américaine. Les livres ont été récoltés lors de l’inauguration de la boîte, mais aussi des dons venus d’une collecte de livres faite par l’école Saint-Exupéry de Brazzaville, grâce à monsieur Jean-Simon Ottavi (auteur du roman Le Silence des Fantômes), qui a longtemps soutenu le projet et continue de le faire. Nous avons également des dons venus des personnes qui accompagnent le projet. Parmi elles, quelques écrivains congolais dont l’écrivain Florent Sogni-Nzaou qui a donné plusieurs exemplaires de chacune de ses œuvres littéraires.

Comment réagissent vos lecteurs face à cette bibliothèque à ciel ouvert?

Ils sont très contents d’avoir cette petite bibliothèque et trouvent l’idée extraordinaire et novatrice. La plupart n’avaient encore jamais entendu parler d’une boîte à livres. Les grands lecteurs sont heureux d’avoir des livres gratuitement à leur disposition. L’avis de chaque lecteur/lectrice est recueilli lors de l’enregistrement des informations qui se fait numériquement, avant de débuter la lecture d’un livre.

 Pourquoi pensez-vous que le Congolais a besoin d’espace spécial pour lire ? Les bibliothèques de la place ne remplissent-elles pas ce rôle ?

La lecture est une culture, fréquenter les bibliothèques également. Je n’ai jamais fréquenté une bibliothèque. Je n’en ai pas ressenti le besoin. J’ai été initiée à la lecture par un père qui en connaissait l’importance et a mis à ma disposition assez de livres. Les bibliothèques au Congo ne sont fréquentées en moyenne que par des gens qui en connaissent l’importance et qui ont déjà une culture de lecture. Cela ne fait malheureusement partie que de l’infime partie de la population et du nombre des jeunes. Surtout que certains, soit n’ont vraiment pas les moyens de souscrire à un abonnement, soit y voient une contrainte et trop de protocoles. La boîte à livres s’impose aux jeunes et se pose là où ils s’y attendent le moins. Elle n’est pas là pour concurrencer les bibliothèques classiques, mais pour compléter l’offre sur le marché du livre et de la lecture.

S’acheter un livre au Congo, un casse-tête chinois ?

Le livre coûte cher au Congo. La majorité des grands écrivains sont édités à l’extérieur. Et même les coûts fixés par les maisons d’édition locales semblent toujours trop onéreux pour le congolais moyen. Les livres pour enfants coûtent encore plus chers. C’est donc un véritable budget de pouvoir remplir sa bibliothèque. Encore plus si vous souhaitez acquérir la littérature africaine.

Quelle est la tranche d’âge de vos lecteurs? De quels quartiers viennent-ils?

Grâce aux informations recueillies sur les lecteurs/lectrices sur place nous savons que la boîte accueille régulièrement des personnes de 9 à une quarantaine d’années et plus parfois, venant des quartiers comme Moukondo, Ouénzé, Mayanga, Massissia, Madibou, Massina, Poto-Poto, Kinsoundi, Moungali, Le Blade, Nkombo, Plateaux des 15 ans, La Frontière, Mounkounzi- Ngouaka, Ngamakosso, Bacongo, Mpissa ; élèves, travailleurs et chômeurs. Les trois premiers mois ont montré la présence dominante des femmes.

Le numérique serait-il l’ennemi du livre?

Il est vrai que le numérique est venu nous faciliter la vie, mais je pense que concernant le domaine de la lecture cela reste un choix personnel. Certains préfèreront toujours aux livres numériques, l’odeur du papier, la forme et la couverture d’un livre. D’autres disent avoir l’impression de lire plus rapidement quand le livre est numérique, mais préféreront toujours avoir chez eux une bibliothèque remplie de livres papier. Il y a aussi l’aspect financier étant donné que les livres numériques sont beaucoup plus avantageux et permettent de préserver un certain équilibre financier. Dans ce sens, ce nouveau modèle de diffusion des textes de littérature pourrait menacer de fendre le socle économique sur lequel sont appuyés les maisons d’édition. Notamment la diffusion et la distribution des livres imprimés.

La culture de lecture finira-t-elle par prendre racine un jour dans la vie des Congolais?

Avec un peu d’effort et beaucoup d’entraide, oui. Contrairement à ce que l’on pense, le jeune congolais n’est pas fermé à la lecture. Il suffit de l’initier et de mettre des livres à sa disposition. Ce qui est bizarre c’est qu’un jeune sur trois vous dira qu’il écrit, mais ne lit pas forcément.

Des projets à venir pour donner plus de vie au livre et ramener la jeunesse à une existence bien centrée sur la culture?

Oui, il y a plein d’autres projets et plein d’autres activités autour du livre pour donner aux jeunes le goût de la lecture. Ce n’est là que le début du travail.

Comment gérez-vous votre vie de patronne de boite à livres et votre vie familiale?

Mon mari travaille avec moi. Ensemble nous réfléchissons à comment faire avancer telle ou telle chose et comment entreprendre ou planifier une activité autour de la boîte. Nous arrivons à équilibrer les choses de sorte que, lorsqu’il a l’impression qu’une idée ou l’organisation d’une activité autour de la boîte me prend trop la tête, il prend la relève. Il m’accompagne dans tout ce que j’entreprends et oriente mes idées. C’est un bonheur de l’avoir à mes côtés.

Des conseils aux lecteurs de la boite à livres?

Lorsque vous apprenez quelque chose de nouveau n’hésitez pas à en apprendre également à d’autres. Le savoir se transmet et chacun de nous peut transmettre.

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo