FANN ATTIKI – J’associe la jeunesse à l’évolution, au progrès, à la découverte

Fann Attiki est un Congolais de Brazzaville. Il a vingt-neuf ans et est épris de poésie. Ce qui explique pourquoi il a fait du Slam sa profession. En effet, au commencement il était slameur avant d’oser écrire son roman qui a fait fureur en Europe ces derniers mois. Fann Attiki est vraiment son nom, pas un pseudonyme. Premier roman, premier prix : Cave 72, Prix Voix d’Afriques. Nous pensons à cette citation qui vaut son pesant d’or :« Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années », Rodrigue, dans Le CID l’a dit, Fann Attiki l’a fait en publiant Cave 72 avant ses trente ans.
Cave 72, vous l’aviez dit, aux micros de la presse du monde, est un débit de boisson dont le chiffre 72 représente la glorieuse épopée du football congolais qui avait remporté la coupe africaine du football en 1972. Pourquoi n’avoir pas donné à la tenancière de la cave le prénom de Marie-Jeanne ?
Plusieurs possibilités s’offraient à moi. J’aurais pu lui donner le prénom de Véronique, de Sylvie, de Gladys… ça n’aurait rien changé à sa nature. Elle serait toujours la même.
Vous aviez choisi, au contraire, de l’appeler Maman Nationale : Maman Nationale, un honneur, une complicité entre l’auteur et son personnage ?
Un éloge à toutes ces femmes battantes, à tous ces modèles de force, de réussite et de générosité qui se reconnaitront en Maman Nationale.
Trois jeunes gens (Verdass, Ferdinand et Didi) fréquentent régulièrement CAVE 72 pour le bonheur de Maman Nationale et une affection sincère les lie : comment expliquer ce lien surprenant ? Pourquoi le trois pas quatre, cinq jeunes ?
Ce lien s’explique par leur nature, leurs goûts, leurs rêves, leur vision du monde qu’ils ont en commun. Pourquoi trois jeunes ? en vérité ils sont quatre puisqu’il faudrait compter Stephan, le personnage fantôme. Tandis que le roman s’écrivait dans ma tête, l’image d’un D’Artagnan et les trois mousquetaires prenait forme.
Que dire du duo Esther et Maman Nationale ?
L’exemple même de la détermination féminine. La preuve est que lorsque l’amour demeure la raison qui unit les femmes, elles peuvent secouer le monde.
La culture et l’éducation sont au cœur de leurs discussions : pensez-vous qu’un peuple sans culture, sans éducation peut survivre de nos jours?
Je ne pense pas qu’il est possible qu’un peuple soit sans culture et sans éducation. Si ces dernières meurent c’est forcément au profit d’une culture et d’une éducation moins bonnes. C’est là qu’est le danger. Un peuple qui en est victime survit, mais dans la médiocrité la plus totale.
En lisant Cave 72, nous avons l’impression que ces jeunes, instruits et très documentés sur les littératures et cultures du monde sont un os pour la société ?
On observe que dans certaines sociétés la norme est de se soustraire de toute forme de pensée. Raisonner différemment de la masse devient le symptôme qui définit la folie. Intello a une connotation péjorative. Être qualifié d’intelligent revient à se faire expulser du monde. Les lectures auxquelles se livrent ces jeunes influencent leur raisonnement. Ils deviennent atypiques pour les gens autour d’eux, donc un véritable problème pour la société parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans la norme.
Que représente donc le rôle de la jeunesse dans votre création ? Jeune et réussite, un duo possible ?
FANN ATTIKI
J’associe la jeunesse à l’évolution,
au progrès, à la découverte
J’associe la jeunesse à l’évolution, au progrès, à la découverte. Et réussite est un concept, parce que dans le fond, c’est quoi la réussite ? peu importe la définition à laquelle on croit, toute personne qui court après la réussite, jeune ou plus âgée, a des chances de la trouver.
Mais jeunesse également matée par la violence policière, tout comme la foule qui manifeste : la violence une plaie qui ne se ferme jamais ?
L’oppression et la répression par la force sont des outils préférés de soumission de ceux qui gouvernent les États. La police, l’armée sont leurs bras armés. Puisque la police et l’armée leur obéissent au doigt et à l’œil, une chose est vraie, la violence contre le peuple a encore de beaux jours devant elle.
Pourquoi avoir choisi l’humour cruel comme trait inévitable dans la trame de CAVE 72?
L’humour est le seul moyen de faire avaler la pilule amère. La cruauté en revanche n’est que l’excroissance du réalisme et de la vérité.
Et la musique ! Elle est partout dans le livre : musique et littérature une association explosive ?
Toutes les formes d’art qui s’écrivent s’emboitent parfaitement. Aussi, au Congo nous ne pouvons imaginer un débit de boissons sans musique.
De même cette façon de décrire les jours qui passent : « Il y eut un soir et un matin : ce fut le premier jour jusqu’au septième jour » et tout s’arrête. Pourquoi finir au septième jour, un clin d’œil au livre de la Genèse ? La Bible, une source d’inspiration pour vous ?
Je ne peux nier mon éducation chrétienne. La Bible m’influence et m’inspire. En faisant ce clin d’œil au livre de la Genèse, je trouvais un moyen de présenter Cave 72 d’une manière assez originale.
Pourquoi avoir fait cohabiter bars et églises sur la même rue ?
Cela est vrai dans certaines rues du Congo. Il y a bien des églises qui font face aux bars, quoique je confesse avoir exagéré un peu sur le nombre. J’ai trouvé ce fait intéressant à décrire et à commenter dans le roman, parce que Cave 72 a été écrit aussi sous le signe de l’insolite.
Votre roman est construit comme un scénario de film : de quartier en quartier, de lieu en lieu le lecteur sent la vie battre, se battre, les bruits, les odeurs, le temps qui gronde, les fuites : vous menez votre lecteur au pas de course ! Une idée de film en vue ?
Plusieurs lecteurs m’ont dit qu’ils aimeraient bien le voir adapté au cinéma. Ça donne des idées. Cette possibilité n’est pour l’instant qu’un projet.
Premier roman, premiers salons littéraires européens : quels sentiments vous ont envahi tout au long de votre voyage européen pour expliquer et partager votre création ?
Je connaissais le bonheur. J’apprenais l’humilité. C’était une joie d’échanger autour de Cave 72. Et rencontrer des auteurs comme Blaise Ndala, Lydie Salvayre, Gauz, Victor Del Arbol, Annie Lulu, Mbougar Sarr et bien d’autres a été une véritable leçon de modestie.
Peut-on dire que comme Ulysse vous aviez fait un bon voyage ?
A la différence d’Ulysse je n’ai pas affronté de cyclope. Ç’a été un périple sans péripétie. Néanmoins nous partageons un même sentiment : le bonheur de rentrer chez soi.
Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo