LECAS ATONDI-MONMONDJO – Les Africains ont les moyens et les compétences d’écrire leur histoire

LECAS ATONDI-MONMONDJO – Les Africains ont les moyens et les compétences d’écrire leur histoire
Lecas Atondi-Monmomdjo a une formation de journaliste et a entrepris des études supérieures de lettres à l’Université de Brazzaville, de Haute Normandie (1981) et de Paris XII Créteil. Il a aussi été enseignant dans tous les cycles de l’éducation : primaire, secondaire et supérieur. Enseignant-chercheur, il a travaillé à l’Université Marien Ngouabi, dans les Départements des Sciences et Techniques de la Communication, des Littératures et Civilisations Africaines, de Littérature et Langue Française, et au Département des Langues Vivantes de 1983 à 2013.
Enfant de l’indépendance, comme jeune, il a pris part aux divers combats politiques dans les syndicats des jeunes, l’Association Scolaire du Congo (ASCO), et à l’Union Générale des Elèves et Etudiants du Congo (UGEEC).
Lecas Atondi-Monmomdjo est né le 16 novembre 1943 au centre médical de Fort-Rousset (Owando), département de la Likouala Mossaka dans le territoire du Moyen Congo dont la capitale était Pointe-Noire.
Essayiste, Lecas Atondi-Monmomdjo vient de publier Pierre Savorgnan de Brazza Totem et Tabous, à MédiAfrique Éditions de Brazzaville quand le romancier Matondo Kubu Ture signe un roman Marché Total Palabre à la criée. Deux premiers écrivains de Médiafrique Éditions.
Quels ont été les différents devoirs occupés dans votre vie ?
J’ai été militant des partis politiques PCT et UP de 1969 à 1972, de 1990 à 1995. J’ai rendu mon tablier et ne milite plus dans aucun parti politique. Mais j’ai eu à diriger l’Agence Congolaise d’Information, la Radio et télévision du Congo. J’ai dirigé le journal du PCT, Etumba (1969 à 1971). J’ai dirigé l’Ecole Nationale d’Administration (1971-1972) et j’ai géré l’Office Nationale des Librairies Populaires (Librairie et Papeterie) (1985-1987).
Des souvenirs dans toutes ces fonctions ?
J’ai par mon engagement politique connu la prison. Condamné à la peine capitale en mars 1972, ma peine a été commuée en prison à perpétuité à la suite d’un putsch intervenu en février 1972. J’ai été de nouveau embastillé, sans chef d’inculpation du 1er août 1987 au 14 août 1990.
Mais l’année 1992 fut différente ?
Exactement, j’ai pris part à l’élaboration de la Constitution du 15 mars 1992. Et par la suite, j’ai siégé à la Commission Nationale des Droits de l’Homme. J’ai pris part à l’élaboration du Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP) en 2008.
Quel fut votre apport au sein de la société civile et comment vous occupez-vous actuellement?
En tant qu’élément de la société civile, j’ai siégé au Comité Exécutif de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) de 2007 à 2019.
Actuellement, je m’occupe de la communication au Secrétariat Permanent de l’ITIE et supervise la publication d’un magazine, une newsletter.
Vous venez de publier à MédiAfrique Éditions Pierre Savorgna de Brazza Totem et Tabous. En lisant la dernière ligne de votre livre, on reste choqué de constater que Pierre Savorgna de Brazza n’a toujours pas été l’humaniste que décrivent les livres d’histoire : quel est donc le but de votre contribution à l’histoire du monde et plus particulièrement à celle du Congo en publiant cet essai ?
Le Congolais lambda ignore les raisons qui ont présidé à la décision par le gouvernement de transférer les cendres de Savorgnan de Brazza et de sa famille du cimetière d’Alger à un monument colossal à Brazzaville en octobre 2006.
En lisant les récits de ses voyages au Gabon et dans l’actuel Congo, il s’est engagé à tailler un empire au centre de l’Afrique pour la France qui lui avait attribué la nationalité. Il n’avait jamais eu, de la part de la Société géographique mission de tailler des colonies, mais d’ouvrir des stations scientifiques.
Il a recouru aux moyens les plus courants dans les conquêtes coloniales, usant de la mitraillette, pour soumettre les populations et recourant à la corruption des chefs en distribuant des alcools et des marchandises.
Ces accords écrits en Français, soumis à des dirigeants locaux qui ne comprenaient aucun mot de la langue de Voltaire relèvent de la grande escroquerie.
Si l’on fait référence à un Sénégalais l’accompagnant, qui du français n’avait pas une grande maitrise de la langue, comment pouvait-il servir d’interprète alors qu’il ignorait totalement les langues bantu. Tout ce qui entoure l’entreprise de Savorgnan de Brazza relève de la pure mystification.
Le roi Téké avec lequel il parla commerce et lui concéda un terrain pour s’installer sur les bords du grand fleuve. Ce terrain allait de la rivière Djoué à la rivière Kimpila (Yoro).
Tout ce qui est mentionné dans les livres d’histoire relatif à Savorgnan de Brazza est écrit par les Français pour justifier l’occupation des pays (Gabon et Congo).
Par cet ouvrage, j’ai entrepris de rétablir la vérité, de cette colossale escroquerie soutenue par le gouvernement congolais.
Pourquoi Pierre Savorgnan de Brazza et pas d’autres explorateurs pour votre essai historique ?
Savorgnan de Brazza m’a intéressé au plus haut point à cause de son action pernicieuse qui a abouti à notre asservissement des dizaines d’années durant. Il a, en compagnie du commandant Cordier, à bord d’un navire de guerre contraint le roi de Loango à accepter le protectorat français en 1882. Le Congo est devenu français à l’initiative de Pierre Savorgnan de Brazza. C’est à partir de Brazzaville que s’organisa ensuite la conquête de l’Oubangui Chari, devenu la Centrafrique.
On a l’impression en lisant ce livre que de Brazza n’avait de but que de conquérir des colonies pour le compte de ses maîtres, « pour découvrir les richesses aux fins de l’exploitation » comme le dit la préfacière Ibea Decointet de Fillain Atondi, ou par ambition personnelle ?
Le 19e siècle en France sous la 3e République et les Républicains, fut la période par excellence des conquêtes coloniales : le Congo, le Gabon, le Tonkin, la Tunisie et Madagascar. Le Premier Ministre Jules Ferry fut le grand initiateur de l’expansion coloniale, de cette politique guerrière, usant des slogans de la franc-maçonnerie : A savoir qu’il y avait un devoir pour les peuples civilisés et supérieurs de civiliser les peuples arriérés.
Aucun pays où il a marqué son empreinte, ne l’a célébré ou n’a gardé de bons souvenirs de cet explorateur et même en France, les portes du Panthéon lui restent fermées !
Le Congo seul s’est vu et cru devoir célébrer cet agent de l’impérialisme français. Le gouvernement français avait décidé de l’inhumer au Panthéon. Mais Madame de Brazza s’y opposa. Elle avait accompagné l’ancien explorateur en Afrique Centrale mener des enquêtes sur les abus crées par les administrateurs et les propriétaires des compagnies concessionnaires. Les concessions furent des espaces concédés à des entreprises pour enclencher le développement. Elles ont réduit les populations en esclavage par la cueillette des pointes d’ivoire et autres richesses, sans construire ni écoles, ni dispensaires.
Le gouverneur général de l’époque Emile Gentil lui fut hostile. De Brazza a été partout mal reçu, et le gouverneur général et les fonctionnaires reconnus coupables d’abus ne furent pas sanctionnés. Certainement qu’aujourd’hui, les cendres de Savorgnan de Brazza seraient en bonne place au Panthéon et non à Brazzaville.
Le mausolée de Brazzaville est une insulte à la mémoire des crimes perpétrés dans cette colonie pour servir de tremplin à la conquête des territoires hostiles aux européens.
Et lui-même dit p. 71 « Je fis fouetter par mes hommes, le chef d’un des villages des bords du fleuve où Doumba m’avait conduit et qui, à son instigation, s’était également moqué de moi. » Comment se moquait-on de lui ?
J’ignore comment s’est déroulé cet échange, de Brazza n’a pas été très bavard à ce sujet.
Le titre Pierre Savorgnan De Brazza Totem et Tabous nous fait lever les sourcils : Pourquoi totem au singulier et tabous au pluriel ?
Le titre de cet essai est celui de l’éditeur, moi je l’avais intitulé : Les Congolais sont-ils tombés sur la tête ?
Aux africains donc de réécrire leur véritable histoire à la lumière de toutes les informations que nous donnent les médias sociaux aujourd’hui ?
L’histoire de l’Afrique ne peut être écrite que par les Congolais. Nous n’avons pas la prétention d’écrire celle de la France.
Les Africains ont les moyens et les compétences d’écrire leur histoire.
L’histoire écrite par les colonisateurs glorifie l’œuvre coloniale et déforme les faits, tous les résistants à leur pénétration sont traités de brigands : Mabiala ma Nganga, etc.
Des heureuses initiatives ont été entreprises par Cheik Anta Diop, Ki-Zerbo, Ibrahima Baba Kaké.
A l’initiative de l’Unesco un colloque d’historiens africains a écrit l’histoire de l’Afrique. Cet ouvrage en 6 volumes est peu connu. Mais cette référence est utile pour se pénétrer la vraie histoire.
Quelles impressions vivez-vous en partageant la primeur d’être édité par MédiAfrique Editions avec le romancier et universitaire Matondo Kubu Ture ?
Je suis heureux que MédiAfrique Editions me publie. Et je l’encourage à mener cette initiative à de grandes ambitions éditoriales. Cela manque tragiquement.
Un conseil, un souhait aux amoureux de l’histoire ?
Des grands noms d’historiens ont entrepris un travail qui mérite d’être poursuivi. C’est le travail dévolu aux universitaires. Il faut commencer par des monographies, et chaque entité en Afrique a le devoir de relever la mémoire sur les occupations brutales opérées lors des invasions coloniales et celle des résistances. L’Unesco a initié l’élaboration d’une histoire générale de l’Afrique et des historiens africains tels que Ibrahima Baba Kaké, Joseph Ki-Zerbo, Cheikh Anta Diop ont produit des ouvrages pouvant servir de repère. Je n’oublie pas le célèbre ouvrage du Professeur Théophile Obenga, « l’Afrique dans l’Antiquité. Il demeure important et nécessaire d’encourager la recherche universitaire de grande qualité sur l’ensemble du continent africain.
Lecas Atondi-Monmondjo – « Pierre Savorgnan de Brazza : Totem et Tabous »
– Brazzaville, MédiAfrique Editions, Coll. Palabre ouverte, 2021, 95 pages.
Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo