DANY LAFERRIÈRE – Michel Le Bris, l’Etonnant Voyageur s’en est allé

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

DANY LAFERRIÈRE – Michel Le Bris, l’Etonnant Voyageur s’en est allé

Une planète nommée Le Bris

HOMMAGE. Le capitaine du festival Etonnants Voyageurs est mort, ce 30 janvier 2021. Son vieux complice, l’écrivain canado-haïtien Dany Laferrière, aujourd’hui membre de l’Académie française, nous a adressé ce texte.

Par Dany Laferrière (Écrivain)

Publié le 31 janvier 2021 à 12h28 Mis à jour le 01 février 2021 à 11h05

Michel Le Bris (1944-2021), ici en 2012. (©Gattoni/Leemage / leemage via AFP)

Et pendant ce temps Michel Le Bris, ce complice de toujours, faisait ses adieux aux livres, aux fleurs, à la mer, à Stevenson, à sa femme Eliane, à sa fille Mélani, et à ses nombreux amis éparpillés sur cinq continents. Je me suis assis près de la fenêtre, avec un verre de vin, pour observer l’agitation continue autour de la gare de l’Est. Et pendant ce temps Michel Le Bris, flairant l’aventure, s’enfonçait dans un chemin boisé dont il ignore où il le mènera.

Je reste simplement fasciné par un détail du parquet en bois tandis que remontent doucement un flot d’images rutilantes, d’odeurs marines, de conversations débutées à Saint-Malo qu’on poursuit à Bamako pour la terminer à Port-au-Prince ou ailleurs. Tant de gens habitent le « je » de ce narrateur. Et ces repas bien arrosés pris tard le soir avec de vieux boucaniers comme Jim Harrison ou James Crumley. Derrière ce brouillard, j’aperçois Le Bris qui passe la main sur son visage, ce visage qu’il a quand il sort d’une longue plongée dans ce fleuve d’encre et de sang. Cet appétit d’ogre qui lui fait lire et écrire des livres qui frôlent les mille pages. Un souffle qui m’étonne avant de m’éblouir.

Michel Le Bris, l’Etonnant Voyageur s’en est allé

Le voilà qui s’avance vers nous, en titubant, encore dans l’ivresse de ses flamboyantes métaphores et des rêves de flibustiers qu’il garde intacts depuis l’adolescence. Il n’en sort que pour s’enflammer à propos d’un jeune écrivain qu’il découvre à l’instant mais qu’il n’hésite pas à comparer à García Márquez à ses débuts. Sur ce plan son instinct est sûr. On n’a qu’à regarder autour de soi pour voir tous ceux dont il a prédit un destin littéraire. Pour l’instant personne ne connaît encore ce prodige car ce dernier vient à peine de publier son deuxième roman. Et lui-même ignore encore qu’un si riche univers bourgeonne dans son ventre. Il lui faut un cadre chaleureux pour faire fructifier tout ça. Le Bris l’invitera donc pendant les prochaines années à ses différents festivals, il chantera ses louanges en toutes circonstances, lui écrira de généreux commentaires dans le catalogue d’Étonnants Voyageurs, le placera à côté du maire de Saint-Malo dans les soupers, le fera participer à des débats divers pour l’empêcher de tourner en rond dans sa cage. Et, consécration, ce jeune tigre deviendra un habitué du Café littéraire de Maëtte Chantrel. Que tous ceux qui ont bénéficié d’un tel traitement lèvent la main. Ils forment la planète Le Bris.

Si j’ai comparé Le Bris à une planète, c’était pour obliger le lecteur de ces divagations mouillées à lever les yeux vers le ciel, mais en fait Le Bris est un vieux train bourré de livres qui ramasse le plus de gens possibles sur son chemin. Ses passagers ne vivent que pour écrire, lire, ou faire les deux à la fois. C’est là le destin de Le Bris. Je l’ai vu lire et écrire dans toutes les situations, et même durant un tremblement de terre à Port-au-Prince (ne croyez surtout pas que cette passion le rend indifférent au malheur des autres). Il terminait lors un énorme bouquin sur son thème favori, l’aventure.

S’il est obsédé par l’aventure sous toutes ses formes et la beauté d’un monde qui tourne lentement sur ses gonds de lumière et de ténèbres, c’est le destin tragique de King Kong qui l’émeut. La douceur des géants qui n’ont aucune idée de leur force. On ne doit pas se méprendre, Le Bris cache au fond de lui un même goût pour les choses minuscules. Je reconnais cette délicatesse quand il plisse les yeux pour mieux percevoir les choses de la vie. Sa discrétion se manifeste par ce sourire qu’il cache gauchement dans sa barbe. Et cette façon de tenir à distance sa maladie. Comme il ne m’en parle pas souvent, je ne peux qu’imaginer ses angoisses nocturnes.

Michel Le Bris : « Je pensais que le festival Etonnants Voyageurs pourrait tenir dix ans »

La dernière fois, nous étions dans un restaurant, à Paris, quand il me lança à brûle-pourpoint : « Je suis guéri, je n’ai plus rien. » Il était si content de m’enlever ce fardeau. Mais aucune angoisse ne l’a jamais empêché de préparer minutieusement son festival en suivant le vieux rituel du mariage : quelque chose de vieux, de neuf, d’emprunté et de bleu. En effet, il garde un quart de vieux copains qui forment la mémoire du festival, il invite à monter sur le manège enchanté un quart de nouveaux écrivains, il emprunte ici et là des cinéastes, des cuisiniers, des magiciens, et le bleu c’est l’inattendu.

Aucune douleur ne l’empêchera de lire le plus de livres possibles afin de faire le meilleur choix pour le prix Littérature-Monde. Et c’est un prix qui couvre un vaste terrain, le monde. Il m’a dit : « C’est difficile cette année, je n’ai pu lire que cinquante livres. » Il lit même les descriptions de paysage. Juste avant la grande fête du livre, on apprend qu’il est à l’hôpital et que c’est sérieux. On chuchote qu’il a frôlé la mort. Au dernier moment il arrive en souriant car il vient de passer la nuit avec un roman exceptionnel (ah bon, il n’a pas dormi, Eliane !). C’est une jeune romancière roumaine ou un essayiste iranien.

Je sais que beaucoup de gens s’intéressent aux jeunes écrivains mais qui les fera monter dans son train pour les présenter à Alvaro Mutis, Le Clézio, Jacques Lacarrière ou Gilles Lapouge, qui les permettra de dialoguer sur une scène avec Pierre-Jakez Hélias, Paco Ignacio Taibo II, Nicolas Bouvier, Alain Borer, Bruce ChatwinAlain Mabanckou, Paul Auster, Ananda Devi ou Jean Rouaud, avec les vivants ou avec les morts jusqu’à ce qu’ils deviennent de nouvelles étoiles de la planète Le Bris. Il a vécu pour l’amour des livres. Et les livres lui ont fait rencontrer bien des gens venant de partout avec les poches pleines de récits sonnants et trébuchants. Tout ce dont rêvait l’adolescent fiévreux de Plougasnou, ce village du Finistère.  Dany Laferrière
L’OBS  
BIBLIOBS

Michel Le Bris en 5 dates

  1. Naissance à Plougasnou (Finistère).
    1970.Directeur de « la Cause du peuple ».
    1990. Fondation du festival Etonnants Voyageurs, ancré à Saint-Malo, avec au fil des années des éditions délocalisées comme 
    en Haïtiau Congo-Brazzaville ou encore au Maroc.
    2009. « Nous ne sommes pas d’ici » (Grasset).
    2021. Mort chez lui, à Janzé (Ille-et-Vilaine).

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