BONIFACE MONGO-MBOUSSA – Relire les classiques
Boniface Mongo-Mboussa est né à Inkouélé dans la région des Plateaux, au Congo-Brazzaville, où il a passé son enfance ; puis il a suivi sa mère à Brazzaville au moment de son second mariage. A Brazzaville, il a été scolarisé au collège Agostino Neto à Talangaï, ensuite au lycée Lumumba. Après le baccalauréat, il est allé en Russie pour étudier la littérature russe. Boniface Mongo-Mboussa est arrivé en France au début des années 90 pour l’écriture d’une thèse en littérature comparée sous la direction du Professeur Bernard Mouralis. Boniface Mongo-Mboussa est aussi l’auteur de l’anthologie poétique de Tchicaya U Tam’si : J’étais nu pour le premier baiser de ma mère, aux Éditions Gallimard.
Et si vous nous racontiez votre passion pour la critique littéraire ?
Je suis un solitaire, qui s’ennuie. D’où la passion pour les livres. Je n’avais pas vocation à être un critique. Je le suis devenu, au fil des circonstances et des rencontres.
Critique littéraire c’est aussi lire énormément des livres qui plaisent, qui ne plaisent pas : Combien de livres lisez-vous en moyenne par mois ?
Il y a des moments où je lis beaucoup ; d’autres, où je relis. En moyenne, je lis deux à trois livres par mois.
Comment s’organise la critique d’un livre d’après Boniface Mongo-Mboussa ?
Je prends beaucoup de notes. J’écris dans ma tête en marchant. Pendant la marche, j’élabore les plans, concocte l’entame d’une phrase, la chute d’un texte, etc.
Et dans quel genre vous sentez-vous le plus à l’aise : le roman, la poésie, le théâtre, la nouvelle, le conte, l’essai ?
Sans aucun doute la poésie et l’essai.
Pourquoi l’essai et la poésie sont-ils vos meilleurs sujets quand le roman est la perle de la littérature ?
Le roman est un genre jeune. Il n’émerge réellement qu’au mitan du 18e siècle; puis au XIXe siècle il devient un genre industriel, un genre roi, un passage obligé pour gagner le statut d’écrivain. Mais cela ne m’émeut guère; la poésie est éternelle: il y a des pays sans romanciers, il est difficile de trouver un pays sans poète. La poésie est dans le chant, dans le conte. Seuls les poètes fondent ce qui demeure, disait Holderlin.
L’essai est indispensable pour se former. Je lis et relis Les libertés de Senghor et Discours sur le colonialisme de Césaire.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Désir d’Afrique?
Deux raisons. Au mitan des années 90, au moment des ajustements structurels édictés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, je lisais des articles annonçant la fin de l’Afrique (il y a eu plus tard un livre intitulé Négrologie : pourquoi l’Afrique meurt, de Stephen Smith) ; la deuxième raison est littéraire. Beaucoup de critiques incultes, ayant une méconnaissance de notre histoire et de notre histoire littéraire présentaient une littérature africaine hors sol, sans tradition ni filiation. Cela m’a déplu, voire blessé. D’où le chapitre inaugural : Relire les classiques.
Vous aviez interviewé pas mal d’auteurs : comment êtes-vous allé à la rencontre de ces auteurs et critiques du continent mais aussi des Caraïbes?
Tous ces auteurs, je les ai rencontrés à Paris. Paris est la capitale culturelle de l’Afrique. Hélas, les Africains se croisent davantage à Paris que sur le continent. Cela est aussi vrai dans notre relation aux intellectuels de la Diaspora. Senghor a rencontré Damas, Césaire, Price-Mars et Richard Wright à Paris.
Comment fructifier alors les rencontres entre artistes, écrivains d’Afrique ou de la Diaspora dans leur terre d’origine ?
Il faut d’abord avoir des dirigeants politiques, qui aiment la culture, qui comprennent que la politique n’est en réalité, qu’un département de la politique, qui ont une vision, et donc qui peuvent favoriser ces rencontres. Or, en Afrique les Ministères de la culture sont des ministères alibis, des lieux de concours de Miss… 60 ans après les indépendances, aucun pays africain ne possède une médiathèque moderne, digne de ce nom.
Comment un écrivain comme Kossi Efoui peut dire « Que la littérature africaine n’existe pas », quand même curieux ce propos, non?
C’était au fond une boutade. Mais la création a échappé au créateur.
Les voix des femmes, que vous appelez « voix marginales » au travers du discours de « Ananda Devi contre le culte de la différence » ne seront jamais totalement acceptées, parce que différentes?
Les préjugés ont la vie dure. Malgré Virginia Woolf, malgré Marguerite Yourcenar, Toni Morrison, malgré Yvonne Vera, on continue à penser la littérature au masculin.
Dans un des chapitres du livre, vous mariez la peinture de Chéri Samba, du Zaïre et l’écriture de Sony Labou Tansi, du Congo-Brazzaville : impérialisme contre socialisme en terrain artistique?
Vous avez bien résumé ce chapitre. Je n’ai plus rien à ajouter, sinon ceci : le socialisme était à la mode sur la rive droite du fleuve et l’authenticité sur la rive gauche. Mais il y a des similitudes entre les deux idéologies : le culte de la personnalité, les animations populaires, la préséance du parti sur l’Etat etc.
La violence, les guerres dans ce Désir d’Afrique est une triste réalité : le Rwanda des monstres est difficile d’oubli !
Les textes écrits sur le Rwanda par Véronique Tadjo, Thierno Monénembo, Boris Diop et Koulsy Lamko, sont capitaux pour comprendre le génocide de l’intérieur. Si l’ivoirienne Maïmouma Coulibaly et le tchadien Nocky Djedanoum, n’avaient pas initié cette opération « Rwanda 94 : Ecrire par devoir de mémoire », il n’y aurait pas aujourd’hui eu une parole africaine audible sur cette tragédie continentale. Il était capital pour moi de me pencher sur cet événement littéraire. J’ai été un pionnier. Depuis, beaucoup ont fait carrière sur ce génocide, plus précisément sur les écrits des auteurs africains sur le génocide rwandais.
Ahmadou Kourouma, le préfacier écrit « nous étions sans culture » selon « les idéologues de chez eux » pourtant dans leurs musées vivent de nombreux trésors d’Afrique : comment expliquer un tel mensonge ?
Hélas ! Cela perdure. Récemment, il y a eu des médecins bien intentionnés, qui proposaient d’expérimenter le vaccin du Covid-19 sur les Africains.
Désir d’Afrique, désir de rebelle comme ces nègres-marrons, rêveurs farouches de liberté ?
Votre clin d’œil aux Nègres-marrons me flatte. Mais eux, étaient très courageux, face à une violence insoutenable. Une histoire dans laquelle les Africains ont leur part de responsabilité. On oublie souvent de rappeler que nos ancêtres étaient partenaires de la traite négrière. Dans cette histoire, que Borges appelle une incomparable canaille, nous ne sommes pas que victimes. Les Victimes ce sont les Noirs de la Diaspora. Voilà pourquoi par pudeur je suis discret sur leurs luttes, leurs revendications. Dans un entretien accordé à Lilyan Kesteloot (8 Décembre 1971 à Paris), Aimé Césaire disait : « Il est important pour moi que l’Afrique réussisse. Je crois que je me consolerais, plus facilement d’un échec des Antilles que d’un échec de l’Afrique ». Et quelle a été notre réponse ? Nous ne sommes pas toujours capables de présenter à la diaspora une Afrique désirable. A la place, nous leur offrons une Afrique, qui laisse à désirer.
Pourquoi une préface et une postface ?
J’avais besoin de la voix autorisée de Kourouma pour m’introduire. Mon éditeur a jugé utile d’ajouter la voix d’un jeune auteur en contrepoint. D’où la postface de Sami Tchak.
Des projets ?
J’aimerais prolonger le travail de Sylvain Bemba sur la musique du Congo-Zaïre en l’élargissant à la littérature et aux arts plastiques. Mais je n’ai pas le savoir encyclopédique de Sylvain Bemba ni sa connaissance intime des deux Congo.
Le mot de la fin ?
Merci. Disons-le plutôt en espagnol : Gracias. Je vous rends grâce pour l’entretien mais aussi pour votre contribution au rayonnement culturel du pays, à côté de Sony Labou Tansi dans le Rocado Zulu. Je vous rends surtout grâce pour votre poésie, qui, selon la formule de Bilombo-Samba, vous a « classé bien avant la mode d’aujourd’hui, parmi les amoureux de la nature et de la terre-mère ».
Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo