FRANÇOIS ONDAI AKIERA – Dans le puissant courant du grand fleuve de la littérature congolaise

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

FRANÇOIS ONDAI AKIERA – Dans le puissant courant du grand fleuve de la littérature congolaise

FRANÇOIS ONDAI AKIERA – Dans le puissant courant du grand fleuve de la littérature congolaise

Quand nous posons la question « Qui êtes-vous? » à l’écrivain François Ondai Akiera, il nous répond sans hésitation : Je suis un Africain, un Bantou, Mbochi, Congolais de la rive droite du puissant fleuve Congo. Un jour, on parlera du dispensaire de Ngagna-Tsongo où je suis venu au monde un 19 août… On parlera surtout de la cité d’Ambombongo où naquit, vécut et mourut, Gabriel Akiera Ikama-Ondai, l’époux de Pauline Ngala-Okandzé, ma génitrice. Officiellement, Pointe-Noire fut gribouillée pour les besoins de la cause, (Brevet d’études moyennes générales), au  collège Mgr Carrie à Pointe-Noire. Le lycée technique du 1er Mai à Brazzaville, l’institut des Télécommunications à Leningrad, en Russie soviétique. Puis, la perdition dans l’administration publique congolaise. Père de trois enfants, garçons et fille. Grand-père de quatre fillettes.

Du journalisme à la création littéraire comment aviez-vous franchi le pas?

Vous l’avez compris: je suis journaliste par vocation. Après le passage au centre culturel américain de Brazzaville du conférencier américain Éric Sellin, en 1983, et la découverte des poèmes d’Edgar Allan Poe, je m’étais projeté sur la littérature. Mes premiers poèmes datent de cette période. Je les déclamais à la télévision publique dans l’émission Autopsie de Léopold Mpindi Mamonsono. Je fus remarqué et soutenu par deux aînés : Sony Labou Tansi et Sylvain Bemba, deux noms illustres de notre littérature. Jusqu’à sa mort, en 1995, Sony m’encouragea à me jeter à l’eau. J’étais très régulier chez lui, à Makélékélé, 111, rue Mbemba Hyppolyte. C’est lui qui me fit rencontrer Apollinaire Singhou Basseha. Avec ce dernier, on sortit  «Le cahier du cercle littéraire Ferdinand Mouangassa de Makélékélé», en 1984, juste avant mon départ pour l’Union Soviétique où je vécus cinq longues années.

À mon retour au pays, je sortis Apollon, une revue littéraire. Mais, analyste politique, le factuel journalistique prit le dessus sur mes élans littéraires.

L’adage dit que le journaliste est un écrivain qui s’ignore. Cela, je le confirme au regard de ma propre expérience. La frontière est poreuse entre le factuel journalistique et l’imaginaire littéraire.

Et l’idée d’écrire Mwana Okwèmet vous frappe : expliquez-nous le chemin de cette création.

Je travaille sur des questions liées à la mémoire et à la modernité du Congo en particulier et, au monde africain en général. En 2017, j’ai publié « Conquête, Résistances et Terreur en Afrique équatoriale française, une histoire oubliée du Bassin de l’Alima-Nkeni 1911-1946. » J’ai découvert le manuscrit ronéotypé de ce texte en 2016. Mgr Benoît Gassongo l’avait écrit entre 1968 et 1971. L’intérêt historique du récit qui contait les péripéties de la pénétration française dans le Bassin de l’Alima-Nkeni me décida à éditer à titre posthume ce texte d’une importance capitale.

L’une de mes six annexes qui accompagnent le texte central concentre les éléments du futur Mwana Okwèmet.

Ce récit, vous l’aviez divisé en quatre parties : dans la première partie, vous racontez l’arrivée des français et leur nature dévastatrice de colon : les populations souffrent et s’organisent. Quelles leçons tirez-vous de cet envahissement, hier et aujourd’hui?

L’invasion européenne à la fin du 19ème siècle intervient 400 ans après la première rencontre Europe-Afrique qui se solde par notre mise en esclavage le génocide qui suivit. La seconde rencontre qui eut lieu au début du 20ème siècle n’apporta pas de modification dans le terme de l’échange entre Européens et Africains. On supprima le déracinement et la transplantation outre-Atlantique pour une nouvelle forme d’oppression capitaliste aujourd’hui encore, un nouveau paradigme n’est venu remettre en cause les termes de l’échange entre Africains et Européens.

Dans la deuxième partie l’héroïne du récit, Mwana Okwèmet, fait l’objet d’un complot et ce sont les gens de sa maison qui la trahissent! Comment en sont-ils arrivés à ce point?

À Eygnami, Mwana Okwèmet était une réfugiée amenée par sa belle-sœur, Mwakumba, son unique parente par alliance. Elle était arrivée au mauvais endroit au mauvais moment, d’une part et, d’autre part, il faut avoir à l’esprit que le déracinement était une institution quasi familiale. C’est au sein des noyaux familiaux que les traîtres tramaient leurs complots. Les cas de rapt exposaient leurs auteurs à des représailles. J’ai tendance à voir l’hypocrisie en milieu bantou comme une des séquelles du comportement esclavagiste dans nos familles

La troisième partie parle des prétendants bien particuliers : Gbakoyo et Tabba, pourquoi ces deux-là justement quand les hommes dans le récit sont foison?

Cette situation est symptomatique de la sociologie de cette époque en termes de choix d’un conjoint. Décalés par rapport à la nouvelle donne introduite par l’invasion française, les deux jeunes continuaient d’espérer un meilleur parti à la hauteur de la dimension aristocratique de leurs défunts pères

Et enfin la dernière partie, celle qui parle du destin de la femme confirme les augures du féticheur sur la vie de Mwana Okwèmet. Quelle force lui a donc permis de vivre son étrange destin?

Je parlerai de la foi en la vie qui est une continuité. C’est un principe que le philosophe Aristote explique admirablement dans un des doctes écrits. Morceaux de bois, images, chaînes etc. sont des fétiches auxquels l’humain s’attache pour raffermir da foi.

Cent ans de vie pour Mwana Okwèmet, cent ans de tribulations, de bonheur, de souffrances ou de rêves inassouvis ?

Parfaitement exact. Le plus étrange à mon avis, c’est la revanche sur le sort des dix précédents enfants de Lembo’o morts à la naissance ou en très bas âge. Cent ans comme vous le dites, où elle aura vu de toutes les couleurs.

Pourquoi Okwèmet est-il un fétiche redoutable et n’a pas pu empêcher de détruire les méfaits de l’invasion coloniale?

C’est une question fondamentale qui met une frontière étanche entre la représentation abstraite et la représentation physique. La force d’un fétiche est de l’ordre du cérébral, quelle que soit la force de la foi qu’on y met. La colonisation imposa un corps à corps physique avec des armes physiques et intellectuelles. Le résistant Gbaya, Karnou, en Centrafrique actuelle, crut avoir pris télépathiquement le dessus sur le sous-préfet français qui venait l’attaquer quand il apprit que l’agresseur avait fait volte-face. On cria victoire. Mais, ce ne fut qu’une illusion. Le fétiche n’empêcha pas le martyre de Karnou et les siens.

Dans Mwana Okwèmet, vous parlez également de l’effondrement de la société mbochie : en quoi cet effondrement est-il insoutenable? Et quelles ont été les principales conséquences?

Une société est fondée sur une continuité qui charrie légendes et mythes fondateurs. Elle s’appuie sur des acteurs vivants qui incarnent cette continuité et toutes les croyances y relatives. Ce qui arriva en 1911 avec la cohorte d’assassinats de personnes tuées à bout portant sans motif apparent était d’un effet de terreur inimaginable. Sommée de disparaitre ou d’accepter le diktat étranger, la société perdit ses repères, désemparée. La suite ne fut plus qu’un long sanglot des vaincus traînés nus, la corde au cou dans les goulags.

Peut-on citer des héros congolais de la résistance face à la violence et l’invasion coloniale? Quel fut leur sort? Quelles leçons tirer aujourd’hui?

L’historiographie nationale n’a pas à ce jour répertorié et rendu hommage à nos martyrs. Sous le régime révolutionnaire (1963-1990), seuls les héros de la région du Pool furent acclamés et glorifiés du fait que le principal idéologue du régime, Claude Ernest Ndalla Graille de tribu suundi est du Pool. Mbweta Mbôngo, Mabiala ma Nganga méritent leur place au panthéon de nos héros. Ils ne furent pas les seuls. Notre vraie histoire n’est pas enseignée. C’est la faute aux universitaires et aux différents gouvernements qui ignorent cet aspect de notre culture, et de notre histoire.

Par exemple, vous serez étonnée d’apprendre que le second Makoko après celui du traité avec de Brazza avait fini sa vie en prison, à côté de l’immeuble de l’actuel Congo-Telecom. Que les Batekes qu’on présente comme des suppôts des Français avaient refusé de construire Brazzaville. Et que dire du martyre de Matsoua André, que dire de la première révolte moderne des Congolais en avril 1930 (1933?) pendant la mascarade qui accompagna le « procès » de Matsoua André ?!

L’écriture pour vous : un chant, un souffle nouveau pour un nouveau monde, ou un exutoire pour dominer les turbulences du monde présent?

Je suis né Djembé, un barde, un aède, un conteur, un griot. Avec l’apparition de ce roman, j’ai payé une double dette.

D’abord aux ancêtres de ma famille paternels qui furent des grands ténors de la chanson du folklore l’info. Pendant mon enfance au village, je marchais sur la voie déjà tracée. Mon exode en ville a tout changé. Je ne chante plus en Mbochi, mais en français. Je reste toujours un djembé, Homère de la tribu.

Ensuite, j’avais une dette à payer envers mes deux aînés Sylvain Ntari Bemba et Sony Labou Tansi qui avaient vu en moi au début des années 80, un espoir de notre littérature. Les voies de l’inspiration littéraire sont insondables.

Des prix qui récompensent votre oeuvre?

J’ai eu deux prix gagnés par ce coup d’essai. Je suis fier d’avoir honoré la mémoire de mes aînés Sony Labou Tansi et Sylvain Bemba. J’espère continuer dans cette voie.

Le Trophée des Créateurs des Sanzas me consacre meilleur écrivain de l’année 2022 au Congo Brazzaville. Deux semaines après, les Éditions Koongo de Ramsès Bongolo m’ont attribué le Trophée des Lumières dans la catégorie Patrimoine culturel, c’était le 28 janvier à Makélékélé.

Naturellement, je suis fier d’avoir fait plaisir à ceux qui croyaient en moi et attendaient de me voir me jeter dans le puissant courant du grand fleuve de la littérature congolaise.

Un souhait, un conseil?

J’ai un grand regret, c’est celui d’avoir perdu tout mon précieux temps dans le factuel journalistique. J’ai grandi à Pointe-Noire avec les polars de tout horizon, les bandes dessinées et autres récits. J’ai lu la littérature classique française en Russie chez les bouquinistes. En 1979, la lecture de Salammbô de Gustave Flaubert me provoque un électrochoc. Plus tard la Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne en fit de même.

Je demande aux jeunes de persévérer dans l’effort, de lire et de toujours lire.

Mon souhait est de voir des maisons d’édition accompagner nos auteurs. Que le gouvernement s’implique à fond dans l’accompagnement des auteurs.

Un mot pour finir cette rencontre?

Je voudrais encore convoquer Aristote mais, je ne me souviens pas des termes de sa citation. En un mot, comme la vie est continue, il y a toujours espoir d’amélioration, et de rencontre comme celle-ci. L’adage dit qui se ressemble, s’assemble. En 1983, Marie-Léontine était bibliothécaire, François, lecteur. En 2023, 40 ans après, François est auteur de roman, Marie-Léontine est poète et blogueuse!

 

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo