EDDY GARNIER – Je suis obsédé par le bien-être de la postérité

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

EDDY GARNIER – Je suis obsédé par le bien-être de la postérité

      EDDY GARNIER – Je suis obsédé par le bien-être de la postérité

 

En publiant Rictus aux Éditons Terre d’Accueil, Eddy Garnier vient de signer une nouvelle page éblouissante de sa vie d’homme de lettres. Eddy Garnier n’est pas que poète, il publie également essais, contes et romans. Rictus, comme un rire jaune, raconte le monde dans un humour noir, le monde tel qu’il est aujourd’hui dans un foisonnement d’idées décrites sur 142 pages bien serrées.

Rictus un cadeau parfait pour célébrer le Mois de l’Histoire des Noirs -2023- dans nos vies et dans nos coeurs. L’auteur sera présent au Salon du Livre de l’Outaouais ce vendredi 24 février 2023.

Eddy Garnier, natif du Plateau Central d’Haïti, vit aujourd’hui dans la région de l’Outaouais.

Rictus, le titre de votre recueil, publié aux Éditions Terre d’Accueil, un peu frondeur à mon avis, qu’en dites-vous?

Merci d’avoir bien ressenti la vibration du titre Rictus dans l’essence de son expression. En effet, la vie en général est une migration permanente dans ses multiples facettes. Et la déception de se réaliser impuissant à la capter, à la comprendre, la dominer, ne peut s’exprimer que par un Rictus passager, mais incessant malgré tout. Une simple grimace du coin des lèvres : expression d’une vaste plaisanterie que projette la vie qui exprime sa grande fatalité constante.

Pourquoi rictus, et non sourire ni éclat de rires?  

Vous pensez? C’est vrai, on voudrait bien en sourire, en rire aux éclats, ce serait plus agréable, plus facile, car il s’agit de la vie. Mais on ne sourit ou ne rit aux éclats que de ce qu’on possède, qu’on connaît ou qu’on maîtrise. Alors que le rictus projette, en plus, l’acceptation résignée de l’inconnu qui nous contient, nous projette et malgré soi, malgré nous. On n’en peut que rictucer. Oups, encore un nouveau néologisme.

Quelle histoire nous racontez-vous dans ce recueil qui s’étale sur une centaine de pages et que vous avez divisé en six parties suivies d’un épilogue : pourquoi ces parties distinctes? 

Rictus, je veux dire le livre, projette l’itinéraire de la vie, d’une vie. Rictus ne raconte pas une histoire. Chaque poème est une histoire dans ses histoires. Comme nous le savons, la vie est migrante dans ses nombreuses facettes qui se vivent en même temps et successivement : les sentiments, les émotions, les hauts et les bas, les amours et les haines, les plaisirs et les déplaisirs, les naissances et les incompris inconnus. Et l’intention des six parties de Rictus ne peut que résumer la photographie d’étincelles de facettes de la vie choisies parmi la vastitude.

Et si vous nous expliquiez chacune de ces parties pour éclairer certains lecteurs pour qui la poésie, dit-on, demeure -souvent- un genre hermétique. 

À moins qu’il s’agisse de prose poétique descriptive ou de la pamphlétaire, la Poésie est autant singulière et hermétique que les lecteurs qui l’abordent. Car nous avons chacun notre propre intériorité, nos propres expériences et ressenties. Un même texte aura autant d’interprétations qu’il aura de lecteurs. La poésie ne s’explique pas. Les thèmes retrouvés dans RICTUS sont à la base de la migration vitale. Il s’agit d’aventures, d’expériences 1) du monde ou URBI ET ORBI  2) des hauts et bas du quotidien ou CARPE DIEM – 3)  du passage de la Vie et du Temps ou TEMPUS FUGIT 4) du – Sexe, de l’Amour ou ÉROS – 5) de la Guerre, de la paix ou MARS  6) de la Parole et de la Poésie ou VERBA VOLANT SCRIPTA MANENT -et enfin 7) la finalité de toute existence :  l’ÉPILOGUE

Peut-on alors dire que Rictus, est une quête poétique et intimiste de l’auteur?

Puisqu’il s’agit de poésie, je dirais que SI comme quête poétique, dans la mesure où Rictus fait naître des émotions et que sa facture se révèle imaginative, touchante, belle… imagée.

Intimiste? Oui aussi car Rictus peint et décrit le monde dans ses réalités concrètes et ses aspects occultés. Et du haut de cette échelle, il pointe du doigt des injustices et des maux de ce monde. Il faut alors le dire, il est une poésie profondément engagée, sans trompettes ni tambours. À la cloche de bois pour persister plus longtemps par le truchement de l’énigme : écriture anti-conformiste et création de néologismes.

Le monde vu à travers Rictus est angoisse, racisme, sexe, mais aussi absence et solitude, un monde sans espérance ? 

Oui, en effet. Et ces interrogations provoquent indubitablement un rictus mais, dans le sens opposé de celui du titre du livre. Ça me rappelle un dicton de mon cher pays d’origine : Haïti, qui dit : « (ba-y kou bliyé, poté mak sonjé) – Trad, : On oublie les coups qu’on reçoit, mais on se souvient toujours des cicatrices ». C’est une façon de rappeler les bons moments, les bonnes choses, les bons souvenirs… les agréments de la vie. Tout est une question de mémoire.  Ainsi, le monde vu à travers Rictus est le vrai monde. Car l’on ne peut expérimenter l’angoisse sans se souvenir de la confiance qu’on aurait échappée. De même, le racisme n’a pas sa raison d’être si on ne connaissait pas la valeur et le bonheur de la fraternité, l’amour, le partage, le cosmopolitisme. Quant au sexe, nous savons tous qu’il est incontournable. C’est la divinité indoue Lingam-Yoni, c’est l’Eau et la Pierre de la Bible. Sans le sexe, le monde n’existe pas. C’est la DUALITÉ Mythique, mystique et spirituelle qui nous génère, nous maintient, nous contient tous. Et quant à l’absence et la solitude, c’est encore le principe du dualisme originel et la mémoire qui est évoqué. Pourquoi donc l’absence, si ce n’est un appel à la chaleur de présences. Et la solitude qui est de la nature profonde de l’humain, est l’unique outil pour rejoindre la foule. Le temps de se découvrir soi-même pour s’avoir comment apprécier les autres et s’harmoniser avec eux en étant conscient de la nature solitaire humaine. C’est pourquoi le monde ne peut vivre et exister que d’espoir. Celui d’acquérir ou de pouvoir jouir de la meilleure face, pour soi, de la dualité originelle.    

Cependant un brin d’humour… noir dans le titre « TRÈS CHER AMI » : crainte de la mort, du vide laissé par le voyageur solitaire, souffrance insoutenable? 

Un peu de tout, tout ou rien, du tout. L’ironie du temps, de la vie aux aguets perpétuels dévoile le plus souvent, les secrets inusités de l’homme. Celui qui n’a jamais le temps et qui se dénie sans cesse pour se dérober de ses promesses et parole d’honneur. Il pense que l’autre, une fois parti pour toujours, est incapable de débusquer sa supercherie. Mais le poème était déjà une démarche de la conscience de Caïn.

Ici en revanche un peu de nostalgie sans malice « SOUVENIR » Papi! Papi! Ma dent bouze/J’ai trouvé cela mignon : serait-on tenté de se laisser emporter par la vie et demander au temps de suspendre son vol? 

Mon Dieu! Qu’en puis-je répondre?
Ah! Le temps.

Que ce foutu temps… a passé si vite. C’est comme si c’était dans l’espace d’un cillement que tout ce temps aurait dévalé, Hélas! Tempus Fugit!

Non, hélas! On ne peut demander ni à la vie ni au temps … nous ne pouvons que subir face à l’incommensurable, s’y soumettre mais surtout prendre conscience de la Mémoire.

Et la vie n’a que ce refrain de « STE VIE D’CHIENNE LÀO » ? 

Comme disait souvent l’autre qui vieillissait à vue d’œil, dans le lot de ses misères : « La vie est une vaste camaraderie!»

Création des néologismes (Rectiligner, ébénisée, Québéquoisité) pour ne citer que ceux-là : pur bonheur ou exercice de pénitence que vous vous êtes imposé? 

Une académie de la langue n’est qu’un gardien de la convention des mots choisis pour exprimer les émotions. En dehors des conventions, la vernaculaire s’érige image succulente, toujours plus précise que la rigueur conventionnelle. Pour être issu d’une culture créole, par laquelle le son des mots rend équitable le dynamisme de l’oralité et les idées plus vivantes, plus réelles que les conventions figées.

L’écriture pour vous : un chant, un souffle nouveau pour un nouveau monde, ou un exutoire pour dominer les turbulences du monde présent? 

L’écriture pour moi, n’a jamais été une plateforme de substitution ou un déversoir quelconque d’idées, d’émotions et de sentiments. Écrire est un exercice épuisant ingrat et traître. Surtout lorsqu’on pense aborder son aspect littéraire. L’écriture pour moi, c’est simplement un chemin à emprunter pour partager, pour livrer des idées, des messages, peut-être des enseignements mêmes, qui méritent une impression de perpétuation. Je suis obsédé par le bien-être de la postérité.

Et Haïti toujours enfouie dans le coeur : présence inoubliable qui habite votre espace vital?

Très certainement et toujours, tant mieux. Nous ne pouvons donner que ce qui nous appartient : notre source, nos racines, nos inspirations, bref, notre souffle. S’évertuer à être comme les autres, c’est la fadeur, la duplication, l’impersonnel. Or l’exercice de l’écriture est de laisser sa marque telle que l’on a été et que l’on est. Ce qui témoigne qu’on aura été sa propre originalité, dans le futur.
On est habité par tout ce qui nous a permis de pousser, de grandir et d’épanouir. Rester soi-même ailleurs, c’est la révélation de soi dans la multitude globalisante. Ce sera la marque de son passage. Soi-même, produit de sa culture acceptée et consumée avec conviction et conscience.

Que représente donc l’image de la femme dans votre chant littéraire?

Elle est mon désir perpétuel. Cependant, pas pour ses seins, pas pour son corps, non plus, pour son sexe aussi. Elle m’est un besoin vital de tout son être. Sa démarche, son sourire, son regard. Tout d’elle Oh la Femme! Je vis, simplement pour qu’elle et moi, nous nous tenons tout le temps par la main.

Viens femme – toujours belle. Viens, tenons-nous tendrement par la main.

Un autre ouvrage sur le chemin de la création?

Toujours en cogitation pour l’héritage à la postérité avec l’essai, le roman, la poésie d’amour et le roman. Et pourquoi pas le roman d’amour?

Un souhait, un conseil? 

Nous souhaiterions que la mondialisation dans sa folie goulue puisse faire grâce à la singularité de la poésie.

 

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo