GILBERTE MBON OU GIGI LOVE D’ORANGE – J’arrive à atteindre plusieurs horizons

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

GILBERTE MBON OU GIGI LOVE D’ORANGE – J’arrive à atteindre plusieurs horizons

Dans sa vie à l’état civil, Gigi Love d’Orange se nomme Gilberte Mbon. Elle est née au Congo-Brazzaville dans une famille de neuf enfants. La vie continue malgré la mort qui lui a ravi l’une de ses sœurs.

Elle passe une enfance calme. Réservée mais très curieuse, Gigi Love d’Orange à neuf ans veut tout savoir, tout comprendre. Elle lit tout ce qui lui tombe entre les mains : journaux, livres et romans photos malgré l’interdiction de ses frères qui pensaient que ces lectures n’étaient pas appropriées pour son âge.

Son regard de la société dans laquelle elle fait vivre ses personnages est sans équivoque.

Votre curiosité vous a effrayé un jour !

En effet, j’ai un souvenir qui me revient toujours, j’étais en classe de CE2, (cours élémentaire 2.) Un matin, j’avais ramassé une page d’un livre de grammaire et conjugaison, devant la cour de nos voisins. C’était la page des articles indéfinis. L’après-midi, en classe, à ma grande surprise, ce cours était à l’ordre du jour. J’étais la seule à intervenir, je répondais à toutes les questions et citais des exemples écrits dans le livre (j’avais tout retenu). La maîtresse étonnée, arrêta d’écrire, se retourna, me demanda de me lever et aux autres de fouiller sous le pupitre si je cachais le livre : « Si tu as le livre avec toi, je vais te chicoter », avait-elle dit. Je tremblais de tout mon corps, parce que madame Lucie, ne badinait pas avec la chicotte. Après avoir constaté que je ne cachais rien, elle me demanda : « Tu as le livre à la maison ? » «Non, répliquè-je avec vigueur», « Alors bravo pour elle » ; ajouta-t-elle. Une fois assise, je regrettai d’avoir intervenu, car elle m’avait effrayée !!!

Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire ?

J’ai commencé mon cursus scolaire, à l’École pilote 31 décembre 1969, située à côté de la morgue municipale de Brazzaville. Mon collège au CEG Nganga Edouard. Après l’obtention du BEPC, j’ai fait ma seconde au Lycée Thomas Sankara, la première et la terminale au Lycée de la Révolution à Ouenzé.  Une fois admise au Baccalauréat A4, j’ai opté pour une formation professionnelle supérieure en secrétariat attaché de direction à l’École Africaine de Développement (E.A.D) sise à la Cathédrale de Brazzaville. Ensuite, le Management des Ressources Humaines et de la Communication à l’Institut de Gestion et de Développement Économique (I.G.D.E.), sanctionné par une Licence Pro.

Aujourd’hui, je suis fonctionnaire, agent du ministère des transports, de l’aviation civile et de la marine marchande, précisément à la direction générale de la marine marchande.

Aviez-vous quitté votre profession pour devenir écrivain ou menez-vous de front les deux activités?

Ma passion littéraire ne m’empêche en aucun cas de vaquer à d’autres occupations. A part le livre et la fonction publique, je suis gérante des Établissements Mérite Services depuis 2009, Présidente d’une Mutuelle depuis 2001.

Qui est-ce qui vous réjouit dans votre profession actuelle?

De toutes mes fonctions, je choisis la fonction d’écrivain. Cette profession d’écrivain convoque la libre expression qui me réjouit totalement. Par l’écriture, j’arrive à atteindre plusieurs horizons. Un travail de sensibilisation, de conscientisation, d’interpellation est mis en œuvre, bien que le livre ne soit pas accessible à toutes les bourses au Congo.

Jusqu’à ce jour, vous écrivez essentiellement des nouvelles : que racontez-vous donc dans « Les mœurs de chez nous? »

Comme son titre l’indique, « Les Mœurs de chez Nous » est un ensemble des us et coutumes que les congolais en particulier et les africains en général mettent en pratique, adoptent ou imitent sans ambages. C’est une sorte de mentalité ou de principes que nous nous infligeons à l’égard d’autrui ou à nous-mêmes. Ce recueil contient cinq nouvelles qui sont : Foyer infernal qui souligne le comportement de certaines jeunes filles qui adorent la facilité et croient que la vie de couple est plus importante que les études.

Le poids de la tradition évoque la dominance drastique des chefs ou responsables vis-à-vis de tous les membres de leur famille ;

Dans la nouvelle A la recherche d’un héritier, je dénonce la mentalité des pères qui se glorifient de la naissance des fils : pour ces pères, la question d’héritage est importante et estiment que seuls les fils peuvent être appelés dignes héritiers.

Noir de cœur noir de peau dévoile, quant à elle, le comportement malsain que certaines personnes exercent envers les vulnérables et enfin Au-delà des liens qui boucle ce recueil, raconte les conséquences de l’amour qui nous prend et nous fait briser les frontières ou les limites qui nous font oublier les bornes du bon sens.

Les livres d’histoire nous parlent aussi de l’existence des mariages forcés : les familles unissaient leurs enfants pour agrandir royaumes et fortunes : Pensez-vous que ces situations n’arrivent que chez vous?

Les situations de mariages forcés sont constatées partout dans le monde, aucun continent n’y échappe, surtout dans les villages, c’est toujours d’actualité malgré la conscientisation des populations.

Dans « Les mœurs de chez nous » et dans le deuxième livre « Le bourbier » vous ne présentez que des nouvelles : quelles sont les raisons qui font que la nouvelle soit votre genre privilégié ?

La nouvelle est une forme de récit concis. On relate de manière brève, une histoire, un événement qu’on a vécu ou qu’on a écouté. Dans Le bourbier, c’est le fond du message à faire passer qui compte primordialement.

Le bourbier c’est le poto-poto, c’est sale, on enfonce dans la boue et sortir de la boue n’est toujours pas facile: comment vos personnages arrivent-ils à se libérer des situations inextricables ?

Dans ce recueil de cinq nouvelles, les personnages sont démasqués, dévastés, humiliés, confus, désavoués après chaque situation. Par exemple amour et haine se côtoient, s’attirent se mesurent au sein de la nouvelle L’ironie du sort. Le comportement fourbe et envieux explose dans la nouvelle Le meurtrier est sous le toit du défunt. Successeur ou charismatique mise sur le fait de la bonne gouvernance et de l’organisation dans une société. Et si c’était le prix à payer parle de la reconnaissance par dette morale et de la dépendance affective ou autre des uns des autres. Au nom de l’intérêt est une nouvelle qui démontre les attitudes trompeuses que les gens adoptent pour atteindre leurs buts.

La stérilité est un sujet qui vous touche beaucoup : une plaie dans un mariage?
Effectivement, la stérilité est une vraie plaie dans le mariage, surtout en Afrique, où les mesures d’adoption ne sont pas appréciées, pour les africains l’enfant doit avoir un lien consanguin avec ses parents, car pour eux le sang est sacré.

Que symbolise la mort dans vos nouvelles: un moment de profonde douleur certes, mais une occasion de laver le linge sale en famille?

Évidemment, pendant les moments de deuil, l’occasion est favorable pour arranger certains désaccords en famille.

Quels sont les écrivains qui vous marquent aujourd’hui?

A mon humble avis, je trouve que chaque livre véhicule un message important, ce qui voudrait dire que chaque écrivain marque son époque.

La responsabilité du conseil des sages dans une vie un poids difficile à supporter ou un conseil bienvenu ?

La responsabilité du conseil des sages dans une vie, un conseil de bienvenue, bien sûr que oui. Nous constatons même que les dirigeants des États font maintenant recours au conseil des sages pour la gestion de certains conflits.

Un autre livre en chantier ?
Je suis en pleine rédaction d’un roman. Je vais oser ce mélange de fiction et de réalité, qui exige plus d’imagination et de rêverie.

Des conseils? Des souhaits ?

La promotion de la culture littéraire congolaise traine encore ses pas. Les activités littéraires ne sont pas pérennisées. Plusieurs éditions sont suspendues après deux ou trois présentations par manque d’organisation fiable. C’est vraiment regrettable.

Mon souhait est que tous les acteurs de l’écriture réorganisent ce secteur, car au Congo, la plupart des cadres et hommes politiques, ont chacun au moins un livre publié.

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo