PATRICK SERGE BOUTSINDI – La prison n’est pas une solution

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

PATRICK SERGE BOUTSINDI – La prison n’est pas une solution

PATRICK SERGE BOUTSINDI – La prison n’est pas une solution

 

Patrick Serge Boutsindi est né et a grandi à Brazzaville, dans le quartier de Moungali. Il a fréquenté l’école primaire de la Paix (Ex Saint-Esprit), ensuite le collège Matsoua et le lycée du Drapeau rouge. Il est parti en France où il a poursuivi ses études  et obtenu son bac. Il a ensuite intégré l’université de Metz pour étudier Les Lettres Modernes. Il travaille comme auto-entrepreneur tout en écrivant des livres qui réveillent la conscience de l’homme. Nous nous sommes focalisés sur certains titres, mais il y en a d’autres : romans, nouvelles, essais, contes…

 

Comment expliquer votre intrusion dans la création littéraire?

J’ai toujours rêvé de devenir écrivain. J’ai commencé à écrire à l’âge de 12-13 ans. D’abord de la poésie et ensuite des nouvelles. Ce qui me réjouit dans l’écriture, c’est l’envie de créer des personnages, de raconter une histoire et de faire passer un message.

Dans l’ouvrage « Le mariage de Ya Foufou », vous mettez en scène des animaux qui sont habillés comme des hommes : pourquoi cette symbolique?

Le symbole des animaux habillés comme des hommes dans mes contes, est d’humaniser les animaux en leur donnant la parole.

Le mariage est sacré mais la dot est toujours une demande excessive: comment palier à ces habitudes traumatisantes en plein 21ème siècle?

Si on continue à demander la dot lors d’un mariage en Afrique, c’est parce que les Africains restent encore très attachés aux traditions, qui, on peut le dire freinent parfois le développement de l’Afrique.

La stérilité du couple est également un sujet épineux et peut entrainer le divorce : Mais dans le cas de Ya Foufou les choses se terminent plutôt bien. L’attente vaut-il son pesant d’or?

La stérilité du couple est certes un sujet épineux et qui peut entrainer le divorce, mais dans mon conte de Ya foufou, j’ai voulu que le couple accepte l’idée de ne pas avoir d’enfant et continue de vivre heureux au lieu de divorcer.

Que pensez-vous enseigner aux hommes en célébrant l’amitié de Ya Foufou, un rongeur et Ma-Tchéché qui est tout le contraire de ce dernier?

Ce que je cherche à enseigner aux hommes à travers mes contes de Ya foufou, c’est la morale. C’est-à-dire, être intègre, car le personnage de Ya foufou est un roublard qui cherche à manipuler et à profiter de ses camarades, tandis que Ma-Tchéché le Lièvre tient à déjouer les pièges et les mensonges de Ya foufou. Il veut que Ya foufou soit honnête vis-à-vis de ses amis.

Bouesso, quel beau nom pour votre héroïne dans « Une fille du Congo », un roman aux Éditions L’Harmattan. Pourquoi ce nom particulièrement?

Le nom de Bouesso signifie  » la chance » et dans mon roman il n’arrive que de la malchance à cette jeune fille nommée Bouesso, alors elle s’interroge pourquoi porter un tel nom et voir sa vie basculer en permanence. Ce que je tenais à faire passer comme message, c’est la signification des noms qu’on donne aux enfants en Afrique. Certains noms peuvent porter des malheurs à quelqu’un alors que la signification même du nom dit le contraire.

Bouesso est native du village Makanda où la vie passait calme et dans l’harmonie tant que chacun respectait le rang qui était le sien. Mais pourquoi Bouesso quitte-t-elle ce village paisible pour la grande ville?

Si Bouesso quitte son village natal et paisible de Makanda, c’est pour venir suivre des études dans la grande ville, dans la capitale, car il n’y a pas d’écoles dans son village. Je veux parler dans mon roman de l’exode rural qu’on voit partout en Afrique, car il manque cruellement des structures scolaires, sociales et économiques à l’intérieur des pays africains, dans l’Afrique profonde. Il est temps de construire des écoles et des usines dans les villages afin que les jeunes qui habitent aux villages restent sur place et continuent à vivre comme le reste de la population qui réside dans les grandes villes où l’on trouve les meilleures infrastructures du pays.

Mais la grande ville ne fait pas que des heureux, le chômage, la misère sont le lot quotidien des hommes et des femmes de cette ville, quelles sont les solutions souhaitées?

La grande ville, certes, ne rend pas tout le monde heureux, mais la plupart des gens rêve de venir y habiter parce qu’ils trouvent là des avantages qui n’existent pas dans leurs villages, comme des écoles pour faire des études ou bien des entreprises pour travailler. Sans oublier les structures culturelles et sportives pour tous ceux qui rêvent de faire carrière dans le sport ou bien la culture.

Politique, amour, ambition, on a l’impression que rien ne tient debout et finit par s’effilocher comme une natte: rien ne peut donc apporter de la joie, de l’espérance?

Rien ne tient debout c’est parce que les gens veulent toujours plus. Ils ne sont jamais satisfaits et ne savent pas travailler sur le long terme. Ils veulent l’immédiateté, voilà pourquoi l’Afrique n’avance pas. Nous ne sommes pas assez solidaires entre nous et l’on manque de visions dans presque tous les domaines. Les autres peuples de la terre, à bien voir, sont solidaires entre eux, et ils font avancer leur pays.

Que symbolise donc le personnage de Pierre Malonga comparé à celui de Bouesso?

Pierre Malonga veut à tout prix avoir le pouvoir. Il est très ambitieux, mais il se fait assassiner comme beaucoup d’opposants politiques en Afrique. Bouesso avait des rêves et voulait réussir aux côtés de Pierre Malonga en devant sa maîtresse. Elle voit alors ses rêves se briser à la mort de Pierre Malonga. Elle ne sait plus quoi faire et pense à quitter le pays pour venir tenter l’aventure en France comme beaucoup de ses compatriotes. Les Africains pensent toujours que le bonheur est ailleurs, jamais dans leurs propres pays ou sur leur continent. Il faut inculquer à nos jeunes un rêve africain.

La politique a-t-elle toujours pour vêtement la violence?

Je ne crois pas que la politique porte toujours pour vêtements la violence. Le débat démocratique est toujours violent lors des élections, et on le voit bien en Europe et aux Etats-Unis où la démocratie existe depuis des siècles. La démocratie c’est aussi un état d’esprit, un apprentissage, mais cet état d’esprit n’existe pas chez nous en Afrique, car les gens pensent plus à leurs tribus au lieu de penser à l’avenir du pays.

« L’enfant soldat », est un titre qui dit tout de l’enfance déchirée car la guerre est passée par là : peut-on guérir de cette parenthèse de vie?

On peut très bien guérir de la parenthèse de « L’enfant soldat », car beaucoup de ceux ou celles qui ont été des enfants soldats sont retournent dès la fin de la guerre à une vie normale. Ils apprennent un métier ou reprennent le chemin de l’école. Il y bien entendu des « ratés » à la réinsertion des enfants soldats, mais cela reste une minorité.

La prison, une éducation à la dure, une jeunesse perdue à jamais?

La prison n’est pas une solution pour des jeunes mineurs. Je pense qu’il faut privilégier l’encadrement, l’éducation et l’apprentissage à un métier.

Makoutou est le nom de votre héros mais Makoutou signifie oreilles : quel jeu de mots cachez-vous donc en donnant ce nom à votre personnage?

Makoutou est un nom qui est très répandu dans la société congolaise, et c’est la raison pourquoi j’ai donné ce nom au personnage de mon roman « L’enfant soldat ».

Makoutou n’a donc pas dompter la violence qu’entraine la guerre : la ville n’est-elle que cruauté, danger, violence?

La ville représente souvent un danger, une violence, mais dans le cas de mon personne Makoutou, comme pour des milliers de jeunes de son âge, la ville est aussi un lieu d’espoir, de grande liberté et où on peut avoir des ambitions, et surtout gagner de l’argent. C’est ce qui a motivé le jeune Makoutou en acceptant malgré le danger de la guerre d’aller combattre à Brazzaville. Il est même encouragé par sa mère à devenir enfant soldat.

Et l’amour dans la vie d’un enfant soldat a-t-elle une place de choix ou est-il lambeaux et douleurs?

L’amour dans la vie d’un enfant soldat n’est jamais une place de choix, mais il arrive que le hasard fait qu’il tombe amoureux durant le conflit.

Et « Le voyage d’un Africain en Lorraine », une fresque autobiographique?

Oui, « Le Voyage d’un Africain en Lorraine » est bien une fresque autobiographique, mais c’est également un roman historique dans lequel j’aborde l’histoire de mon pays le Congo-Brazzaville, en parlant de l’arrivée des Portugais au Royaume Kongo en 1480, tout comme de la colonisation française de mon pays à partir de 1880 jusqu’en 1960. J’évoque aussi l’historique de la région Lorraine (Grand Est) où j’habite, en évoquant toutes les guerres (1914-1918, et 1940-1945), que cette région a connues.

Pourquoi l’Africain abandonne-t-il son continent quand d’autres y mènent une vie rêvée, gloire, argent, alcool, sexe coulant à flots?

Si l’Africain abandonne son continent c’est tout simplement qu’il va chercher une vie meilleure en Occident. On lui fait croire par les médias et par la publicité que tout est beau ailleurs, et que chez lui tout est mauvais. La réalité qu’il vit au quotidien explique aussi cela. L’insécurité, les guerres civiles, la dictature, la corruption et la misère lui font douter du bien-être et du développement de son continent. La solution pour lui est donc de partir. De quitter son continent.

L’immigration, une quête sans fin?

L’immigration a toujours existé et continuera d’exister. L’humanité, comme a dit l’Abbé Pierre, est devenue comme un village, et il y aura de plus en plus des personnes qui voyageront à travers le monde pour voir d’autres choses ou de s’installer dans un autre pays ou sur un autre continent.

Aviez-vous l’impression que le colonialisme, le racisme sont des fléaux qui marchent ensemble comme les larmes et le vin, hier et aujourd’hui?

Le colonialisme et le racisme, sont des fléaux que nous devons combattre chaque jour.

Quelle place les ancêtres occupent-ils dans votre création romanesque?

Les ancêtres occupent une grande place dans ma création littéraire, car je continue à les évoquer à travers mes contes, mes nouvelles et mes romans. Je parle souvent de leurs nganas (maximes) qu’ils nous ont léguées. Ils priaient le Nzambi-A-Mpungu comme Dieu protecteur, et se réunissaient au Mbongui pour éduquer les jeunes et transmettre la connaissance. Il m’arrive personnellement d’invoquer leurs esprits dans des moments difficiles.

Le mariage mixte ou pas un mirage dans le désert chaotique des sentiments?

Le mariage mixte est de plus en plus fréquent dans les sociétés européennes, africaines, voire américaines du fait des brassages des civilisations. Tout cela est positif pour le bien vivre ensemble et pour l’avenir de l’humanité.

Un souhait?

Mon souhait pour terminer, et que la littéraire continue à nous faire rêver et à rassembler les peuples.

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda