RODOLSY RONY MAKOSSO – Que je continue à écrire

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

RODOLSY RONY MAKOSSO – Que je continue à écrire

RODOLSY RONY MAKOSSO – Que je continue à écrire

Rodolsy Rony Makosso est poète, nouvelliste et parolier. Natif de Pointe-Noire en République du Congo, il voit le jour le 18 juillet 1982. Son premier roman Les marginaux paraît avant ses trente ans aux Éditons Les Lettres Mouchetées. Il a présenté son livre le 4 juin dernier à Pointe-Noire sa ville natale devant un public d’une jeunesse intéressée et curieuse de découvrir ce grand frère, jeune comme eux. Les marginaux, c’est cette vie en marge de la société par une jeunesse sans boussole.

Et si vous nous racontiez votre parcours littéraire ? Comment vous est venue l’idée d’écrire le roman « Les marginaux » et dans quel but ?

Dès mon plus jeune âge, je lisais les papiers journaux avec lesquels ma mère emballait les beignets pour ses clients. Je m’amusais à reproduire les articles de ces quotidiens dans mes cahiers d’écolier.  Cette habitude m’a initié à l’écriture des poèmes.  Plus tard, au collège, mes parents ayant remarqué ma passion pour l’écriture et la lecture m’ont pris un abonnement au centre culturel de Pointe-Noire, où j’ai découvert la littérature à travers les recueils et romans francophones.  C’est Alain Mabanckou qui a stimulé mon désir de devenir un écrivain.

J’ai vécu à Mpita, un quartier où l’on voit trainer beaucoup d’enfants dans les rues, dans ma ville de Pointe-Noire. Pour compatir à leurs galères et douleurs, j’ai décidé d’écrire ce Les marginaux, roman dans le but d’interpeler la société sur leur vécu.  

Mwana N’soni, un patronyme lourd de sens : est-ce aussi le nom du père de votre personnage ou seulement le nom que la rue lui a donné ?

Non, c’est un nom donné par son père, parce que son fils, timide, n’était qu’une honte à ses yeux.

Les insultes du père, le mauvais comportement de la marâtre lui ont-ils donné une force pour vaincre les démons de la vie ?

Oui. Parce que l’éducation de sa défunte mère fut un pilier pour lui, au départ. 

Être orphelin, une douleur infinie ?

Oui et non. Perdre un être qui ne sera jamais remplacé, est une épine dans le cœur, mais être orphelin ne veut pas dire qu’on est voué à l’abandon.   

À 15 ans le personnage principal de votre roman quitte la maison quand l’amour filial manque surtout celui du père, Mwana N’soni a-t-il jamais cherché à ressembler à son père ?

Non. Son père n’étant pas un modèle pour lui, Mwana N’Soni n’a jamais voulu lui ressembler. En lui il n’a trouvé aucun repère.

Parlez-nous de Monsieur Tchicaya Lichimbongo, le boss des boss s’était-il substitué au père réel ?

Non. Ce n’était qu’un Monsieur, qui apportait de l’aide à la population de son quartier. Et les jeunes en situation difficile venaient solliciter et obtenir son soutien.

La Tour Eiffel de Dibodo : pourquoi cette appellation pour la maison du boss des boss ?

Parce que c’était la plus belle du quartier, donc une référence.  Comme la Tour Eiffel pour Paris.

Quelles ont été ses impressions dans la rue le premier soir ?

L’impression d’être rejeté par le monde entier. La honte de n’avoir pas été cet enfant aimé par le seul être qui lui restait au monde : son père.

La violence se présente partout : elle est conjugale, dans la rue, l’Église, le pays.  Les guerres éclatent. Comment arrive-t-on à cela et comment y faire face ?

On arrive par plusieurs voies. Par l’ignorance de soi et de l’autre ; par le manque de compréhension mutuelle et de tolérance ; et par le fait de ne pas accepter l’autre tel qu’il est.  Cependant pour y faire face, il faut comprendre la raison de cette violence et essayer de se tenir loin de celle-ci. 

La solitude fait-elle partie de la vie d’un enfant de la rue ?

Oui, comme dans la vie, il y a des moments de solitude.

Comment évolue la vie amoureuse des gangs ?

Elle se fait sans déclaration mais simplement par l’attirance d’un besoin personnel de l’un vers l’autre. La fille va vers le garçon capable de la protéger et le garçon vers la fille qui l’adule, l’encourage dans ses exploits.

Papa Miyeke, un ange gardien pour les enfants de la rue ?

Papa Miyeke était plutôt un modèle de père pour Mwana N’Soni, et un mentor.

Dans votre livre, Mwana N’soni est obligé de suivre le journal télévisé pour ensuite faire le compte rendu à la mère : une torture, un moyen pour lui de découvrir le monde, de s’évader de la triste réalité ou d’aiguiser son intelligence ?

C’était un moyen d’aiguiser son intelligence. Par ce moyen, Mwana N’Soni devrait apprendre à se cultiver et à faire travailler sa capacité à mémoriser les faits et évènements du monde. Une belle initiative de sa mère, une autre forme d’éducation dans la vie.

Et les sketches lui apportaient quels messages ?

La découverte de la société congolaise, l’apprentissage des notions de morale, l’instruction civique que prône la sagesse africaine. 

Quel œil jetez-vous sur les bandes des gangs aujourd’hui

Ce sont des groupes composés des personnes frustrées qui réclament certains droits auxquels la société fait la sourde d’oreille. Cependant on refuse parfois de les écouter pour comprendre les raisons de leurs révoltes. Comme disait Alain Mabanckou : « On écoute la raison du chasseur et non du gibier ».

Quelle est la place des arts et de la culture dans Les Marginaux ?

Les Marginaux, un livre qui contribue à la reconnaissance du patrimoine culturel congolais en rendant hommage aux artistes comédiens, musiciens et écrivains qui ont fait rayonner la culture congolaise tant sur le plan national qu’international.   

Quelle est la place de l’histoire dans votre roman : Khadafi, la France et les anciennes colonies sont bien évoqués dans le roman…

Mon roman permet aux contemporains des années 80 et 90 de se situer dans ces époques. Et ceux d’aujourd’hui de découvrir cette histoire.

Pourquoi le phénomène de la sape reste-t-il toujours aussi vivace dans votre roman ?

C’est un phénomène qui est répandu dans la société congolaise. Dans presque tous les quartiers des deux grandes villes du Congo Brazzaville, on retrouve au moins un ou deux adeptes de cette religion appelée la Sape. 

Pensez-vous que votre roman va inspirer d’autres enfants de la rue ?

À ceux qui auront la chance de le lire, je pense qu’ils auront le courage de témoigner de leur vie pas seulement en écrivant un roman mais pendant des occasions qui leur seront propices de le faire. 

Comment devenir quelqu’un peut être un rêve possible ?

En faisant la rencontre d’une personne qui vous oriente et vous propulse sur le chemin de votre destinée. On peut aussi découvrir ce qu’on est capable de faire, d’accomplir et en y tenant mordicus.

Que peut faire un État pour changer la situation des enfants de la rue ?

En créant des structures d’accueil, pour les former puis les rendre utiles au service de la société.

Dans votre roman des thèmes comme la sorcellerie, l’amitié sont abordés : pensez-vous que la littérature peut éclairer les ténèbres de la sorcellerie et donner à l’amitié le courage de s’affirmer dans la vie ?

Oui. La littérature a pour but d’exposer les faits de société afin de transformer les mentalités.

Est-ce possible de gérer le temps pour écrire et avoir une autre activité ? À part écrire que faites-vous dans la vie ?

Bien sûr. Il suffit de bien planifier le temps de ce qu’on fait. Dans la vie, je suis aussi Manager dans un label de productions de musique.    

Après la rencontre du public le 4 juin dernier où vous aviez parlé devant un public nombreux de votre œuvre : quelles sensations, quelles émotions ressenties ? Quelles attentes des jeunes de votre part ?

D’abord la curiosité du public qui venait découvrir l’auteur que je suis. Le fait que mon discours a été accepté par le public m’a ému. Les jeunes attendent que je continue à écrire sur le sujet des enfants qui subissent des inégalités dans notre société.

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo