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À quelques heures d’une vie reconfinée, j’ai pris la direction du Louxor, un cinéma du quartier de Barbès à Paris. Le dernier film de Maïwenn ADN vient de sortir. La réalisatrice y explore ses origines algériennes à travers un récit initiatique. Au programme : des sanglots à intervalles réguliers, et puis des rires salutaires, aussi. Chronique.

La robe kabyle de Maïwenn

Ceux qui ont l’œil se souviendront de Maïwenn (interprétant la journaliste Melissa Zahia), chez elle en robe kabyle, dans son film Polisse. Ceux qui n’ont pas l’œil se demanderont “- Et alors ?” Et alors, pour une réalisatrice qui défend l’importance du costume au cinéma, c’est un détail qui compte. Un élément sémiotique qui se glisse là, sans véritable fonction narrative, qui se glisse là comme on glisse un drapeau algérien dans un match de foot France-Brésil. Qui se glisse là pour dire le tourment volcanique de ceux qui viennent de, qu’ils viennent d’Algérie ou d’ailleurs. La robe kabyle de Polisse, c’est la promesse du film à venir, ADN. Avec ADN, Maïwenn reproduit à l’infini le dispositif de la robe kabyle. Partout, ça se glisse là. Sur une table basse, rangés méthodiquement, des livres. L’art de perdre, d’Alice Zeniter. Un roman de Kaouther Adimi dont on ne voit pas le titre. Et puis l’iconique Nedjma, de Kateb Yacine. Ça, c’est la bibliothèque de Neige (Maïwenn), qui aurait dû s’appeler Nedjma.

Et puis, ça se glisse là, encore. Le nom “Abdelkader Belkhodja », tatoué sur le bras nu de Maïwenn. Le grand-père de la réalisatrice. Et ce tatouage, il se glisse là, pour faire écho à Émir (Omar Marwan), le grand-père de Neige, “colonne vertébrale de la famille” et père de ses petits-enfants – parce que dans ADN, les parents sont morts, ou maltraitants. Puis vient la mort d’Émir. Neige prend la pose auprès de son cadavre, pour un dernier cliché. Et assiste aux funérailles en robe kabyle, enveloppée par les notes du célèbre A vava inouva du chanteur kabyle Idir. De Polisse à ADN, la robe kabyle de Maïwenn essaime des bouts d’histoires sans unité qui rappellent les miroirs brisés de l’artiste franco-algérien Kader Attia. Tout ça se glisse là, comme un spectacle irréparable, sous les yeux de Neige qui sombre sous nos yeux à nous.

La vision de Messaouda

Il y a cette scène où Neige et son ami François (Louis Garrel) font les comptes : “ – Alors, si ma mère est à moitié algérienne, ça veut dire que je suis algérienne à 25%. Et si mon père est un quarteron originaire du Vietnam, ça veut dire que je suis 7% vietnamienne, c’est ça ?” Et comme les chiffres, ça rassure, Neige décide de faire un test ADN, un de ces tests MyHeritage qui retrace votre héritage ethnique “pour seulement 49 euros”. Neige, qui veut savoir “combien elle est Algérienne”, ne s’attend pas à découvrir qu’elle est en majorité…. Ibère ! Son dernier recours, c’est son père (Alain Françon) qui refuse cruellement de lui livrer le secret de ses origines vietnamiennes. Des origines qu’il a refoulées au profit d’une identité française assimilée au point de voter Marine Le Pen.

Face à l’échec des chiffres, il y a cette autre scène, comme une transe ésotérique. Neige est au hammam, entre les mains d’une harza (laveuse) aux cheveux acajou. Cette femme, je la connais, mais je ne la reconnais pas. C’est Messaouda Dendoune. La célèbre yemma (maman) de mon ami Nadir Dendoune, celle qui crevait l’écran dans Des figues en avril, le film que son fils lui a dédié. Ici, elle n’a plus rien d’une yemma pudique et dévouée, mais tout d’une sorcière mystique, d’une gardienne du temple des femmes – on connaît le talent de Maïwenn pour la direction d’acteurs. Et la harza ainsi incarnée saisit entre ses mains le visage épuisé de Neige : “- Vous êtes algérienne. Vous êtes algérienne. Vous êtes algérienne ”, comme une formule magique capable de sortir Neige de la tourmente et de clôturer un récit initiatique millénaire.

Neige, elle a de la chance”

“- Ah, toi aussi, tu es enrhumée?” Je ne veux pas que Carmen sache que j’ai pleuré. Elle, en revanche, assume parfaitement : “- Ohlala, j’ai pleuré sans m’arrêter pendant 1h30! ” Je dis que moi aussi, je n’ai plus honte. On quitte le Louxor pour aller boire un verre en face, à la Brasserie Barbès. Le film nous a bouleversées, je sens que les larmes peuvent monter à n’importe quel moment. On parle de Neige et de Maïwenn comme d’une seule et même personne qui nous serait familière. Et puis, pudiquement, on commence à parler de nous. Aucune de nous ne sait d’où elle vient. Enfin si. Elle vient d’Espagne, je viens d’Algérie. Mais nos parents ne nous ont rien transmis de notre histoire, par amour. Comme le fait le personnage de Yamina dans le dernier roman de Faïza Guene, La discrétion. Dans les années 1980, un enfant heureux est un enfant assimilé. Aujourd’hui, le retour du refoulé nous hante et nous vivons en quête permanente.

Mais la quête est difficile quand il ne reste aucune trace. Je repense au livre d’Émir, dans lequel sont consignés photos et souvenirs. De ses activités d’agent de liaison pendant la guerre au massacre d’octobre 1961, de sa thèse de Doctorat aux vacances en Algérie. Le pire, je trouve, c’est la disparition. Quand on n’a pas eu le temps de collecter les histoires. Moi, je suis hypermnésique. Je me souviens de tout. Mais c’est normal, j’ai beaucoup de place dans ma mémoire où l’on ne trouve rien d’autre que les souvenirs de mon père et de ma mère. Je dis à Carmen, un peu jalouse : “- Neige, en fait, elle a de la chance.”

Célia Sadai