LISS KIHINDOU – L’Afrique n’est pas un pays

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

LISS KIHINDOU – L’Afrique n’est pas un pays

Liss Kihindou est écrivain, enseignante qui vit et travaille en France. Sa juste critique des œuvres littéraires africaines ou autres fait la joie de son lectorat. Elle a bien voulu nous éclairer sur sa dernière publication dont le thème du métissage est la pierre centrale. 

Des migrations au métissage suivi de L’image de la femme à travers 25 auteurs d’Afrique, un clin d’œil aux hommes et femmes de toutes les nations qui peuplent le monde en général et l’Afrique en particulier. Pourquoi ce titre?

Ces deux sujets résument un peu les situations conflictuelles vécues à l’échelle du monde et aussi à l’échelle d’une société, d’un individu. En effet, les nations sont tendance à se comparer les unes aux autres : certaines se considèrent, et sont considérées, comme des nations supérieures; d’autres sont placées très loin derrière, comme si elles n’avaient pas contribué au devenir de la société, comme si elles ne valaient rien. Alors que, si on y regarde de près, on s’aperçoit que des relations étroites se sont tissées au fil des migrations des populations, que ces migrations soient volontaires ou involontaires. C’est ce contact permanent entre les populations qui a stimulé la créativité, qui a enrichi les uns et les autres. Or, on a tendance à ne considérer que le développement actuel de certains pays, tout en oubliant comment on en est arrivé à ce développement.

L’opposition entre les nations entraîne forcément l’opposition entre les personnes?

C’est ce que je traite dans la deuxième thématique : il ne s’agit plus de l’opposition entre les nations ou les peuples mais entre les personnes. Certaines d’entre elles semblent prioritaires par rapport à d’autres. Par exemple, les besoins de l’homme sont souvent mis en avant par rapport à ceux de la femme. Or, dès lors que l’on pense priorité en parlant des êtres, on fausse tout : on ne peut pas faire comme si la femme n’avait pas d’aspirations personnelles, comme si celles-ci étaient secondaires. Au contraire une femme épanouie, heureuse, libre rendra d’autant plus heureux ceux qui l’entourent.

 Les écrivains Léopold Sédar Senghor du Sénégal et Henri Lopès du Congo Brazzaville dans leur création littéraire respective présentent une vision masculine du métissage. Le premier est poète, le deuxième est romancier. Comment les femmes vivent-elles le thème du métissage dans votre publication?

Dans mon essai Des migrations au métissage, j’étudie le thème du métissage sous différents angles : les peuples, les civilisations, les arts et les langues. Par contre dans la seconde thématique, intitulée L’image de la femme à travers 25 auteurs d’Afrique, j’essaie justement de confronter les visions masculine et féminine, pour mettre en relief les points communs et faire ressortir les nuances, car il y en a, à mon humble avis. Parmi les 25 auteurs étudiés, il y a 12 hommes et 13 femmes. Le lecteur pourra ainsi se faire une idée de la particularité féminine par rapport à la vision masculine. Dans mon premier essai, L’expression du métissage dans la littérature africaine, j’étudie le métissage essentiellement en littérature, et Henri Lopès fait partie du corps étudié. Le métissage a toujours été un thème de prédilection, il le définit d’ailleurs, tout comme l’on peut comprendre que cette thématique intéresse particulièrement Senghor, dont l’épouse était une française blanche. Mais sans même considérer les couleurs de peau, on peut déjà signaler les métissages au sein des Afro-descendants. Et même à l’échelle d’un pays, on peut parler de métissage : des unions entre ressortissants du Nord et ressortissants du Sud, par exemple pour le Congo, ne sont pas toujours évidentes et sont mises à rude épreuve pour peu que nous vivions des évènements politiques qui stigmatisent ces régions.

Les migrations ont toujours existé, aujourd’hui, elles font éclater la bulle fort tristement. Pourtant de la différence naît la lumière! L’apprentissage de la différence est donc un piège sans fin de nos jours?

J’explique en effet dans mon livre à quel point les migrations apparaissent en même temps que les hommes commencent à se multiplier. Il suffit de lire les récits datant de l’Antiquité pour s’en apercevoir. Prenez l’exemple des pères du peuple d’Israël comme Jacob, ou bien regardez comment Rome s’est construite : c’est l’histoire entièrement faite de métissages. J’explique dans mon livre combien les migrations, qui sont à l’origine de métissages nombreux, sont constitutives des sociétés, quelles qu’elles soient.

L’image de la femme africaine est plurielle : d’une Afrique à une autre, les nuances culturelles sont manifestes. Comment la littérature arrive-t-elle à concilier cette image plurielle de la femme en Afrique?

Étant donné que je m’intéresse à des auteurs venant de différents horizons d’Afrique, l’ensemble donne une image diversifiée de la femme. Je parle d’auteurs aussi bien francophones qu’anglophones. L’Afrique n’est pas un pays, c’est un vaste continent avec autant de cultures que de pays. J’ai fait le choix de m’intéresser dans mon livre à l’Afrique noire. Et déjà, à ce niveau, il y a des dizaines et des dizaines d’auteurs dont les œuvres abordent la problématique féminine. Mais, parmi ces nombreux auteurs, il fallait en sélectionner quelques-uns. J’ai souhaité que ce ne soit pas uniquement des auteurs connus sur la scène internationale, mais aussi des auteurs qui se trouvent moins sous les feux des projecteurs et qui pourtant abordent la question d’une manière intéressante.

Aragon disait «La femme est l’avenir de l’homme» : la culture, la migration, le métissage : l’avenir du monde malgré toutes les tensions qui explosent?

Pour moi, il s’agit moins d’envisager le métissage comme l’avenir du monde que constater qu’il est la fondation sur laquelle s’est construit le monde, un peu comme une maison sur pilotis : nier le métissage, c’est comme scier les pilotis qui soutiennent la maison, tout s’écroule!

Propos recueillis par Marie Léontine Tsibinda Bilombo

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