Kaly Djatou : Rien n’est plus impossible
Kaly Djatou : Rien n’est plus impossible
Maurice Koudiatou et Kaly Djatou sont une seule âme dans un même corps. L’un est le professeur certifié d’histoire-géographie pour vivre et l’autre demeure l’artiste ivre de musique qui propulse le monde dans son rêve de musicien. Son nom d’artiste Kaly Djatou est tiré de son nom Koudiatou hérité de son grand-père Koudiatou, un grand notable de la famille. Cette dernière rigoureusement religieuse lui avait interdit d’utiliser ce nom pour sa musique, il a respecté la famille et s’est choisi un nom de scène : Kaly Djatou. Ses chansons se chantent sur un fond de rumba, mélangé à la sauce rythmique afro-cubaine. Kaly Djatou est né au Congo-Brazzaville et vit actuellement en France.
La musique, un héritage familial?
J’ai dans ma famille des grands amoureux de la musique. Ils sont musiciens et souvent maîtres des chorales et c’est le cas de mon cousin l’Abbé Jonas Koudissa, tout comme mon cadet Nazaire Dianzambi est maître des chants dans la chorale Christ Roi à l’église Saint-Jean Bosco de fond Tié-Tié, un quartier de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Le benjamin de notre famille Paco Kiminou dirige l’orchestre Les Makanda de Pointe-Noire. Mon premier fils, bien qu’étant étudiant en master 2 au Sénégal, enregistre souvent des chansons R&B sous le label Yael KG.
De Maurice Koudiatou à Kaly Djatou : un parcours de combattant? Un choix, un changement inévitable?
La pratique de la musique au Congo est redoutée par les parents à cause du discrédit dont font l’objet les artistes. Ainsi l’apprentissage des premières notes de musique, se faisait en autodidacte et surtout à l’abri des regards des parents pour ne pas les effaroucher. Succès scolaires et passion musicale ont évolué étroitement en moi. J’ai découvert du plus profond de mon âme, cette farouche volonté de composer de manière régulière des chansons. Je suis arrivé à composer une vingtaine par semestre ! La particularité de mes textes d’enfance était plus axée sur la vie quotidienne que sur l’amour. La perte prématurée de mon père devint une source inépuisable de mon inspiration : c’était à la fois une cachette où je me réfugiais pour évacuer le profond chagrin causé par ce départ inattendu et en même temps, l’orphelin que j’étais devenu y trouvait le chemin de sa consolation. Je peux dire que la musique m’a guéri de l’absence de mon père.
L’appel de la chanson vous submerge et vous rencontrez des personnages qui vous aident à lancer votre carrière ?
J’ai commencé à chanter dans des groupes vocaux comme Les Lionceaux de Nkieni à Madingou Gare, dans les années 1975, dans des orchestres amateurs tels que Les Bilengue Sakana, Les Bayina Libaku Mabe à Brazzaville. J’ai travaillé avec beaucoup de musiciens, d’artistes qui m’ont apporté leur savoir-faire pour donner plus de forme et de volume à mes compositions.
Je citerai sans hésitation Moustache Ya Mbongo qui fut un grand comédien de la troupe théâtrale de Télé Congo et qui mit en valeur la Chanson 8/8 : un grand succès, de Brazzaville à Pointe-Noire, elle fut aussi une danse en vogue dans les années 70-80. La tournée de promotion, un véritable triomphe dans les régions du Kouilou et du Niari. J’en garde un très beau souvenir.
Que dire de Baroza, musicien de Zaïko, qui avait enregistré avec moi au studio de l’Industrie Africaine du Disque -IAD- de Brazzaville, un album extravagant de six titres ? Malheureusement le souffle de la guerre de 1997 pulvérisa tous les espoirs placés dans cet album et la promotion du produit minutieusement préparée ne vit jamais le jour. Je n’oublierai jamais Dercy Mandiangu, excellent guitariste de l’orchestre Rumbaya de Brazzaville, qui avait participé à cet enregistrement toujours à l’IAD.
Vous aviez rencontré également un certain Mesmin Kabath…
Oui, Mesmin Kabath fut un homme d’affaires très ancré dans l’espace culturel, rencontré au cours d’une animation. Il m’avait invité chez lui et avait avoué aimer ma gamme musicale. Il m’acheta des instruments de musique : ce fut le plus grand et beau cadeau de ma vie!
Antoine Manana est un ancien guitariste de l’orchestre Mando Negro Kwala Kwa puis Le Trio Cepakos. Antoine Manana avait séjourné en Espagne pendant 27 ans! Il demeure parmi les plus grands guitaristes du Congo. Son apport dans ma musique fut d’une grandeur à la valeur incalculable.
Mais j’ai connu aussi quelques déboires : mon premier producteur, Daniel Tchimbakala lança sur le marché mon premier 33 tours avec la chanson Premier Salaire arrangée par Freddy Kebano.
En passant, Daniel Tchimbakala est le père biologique de Dominique Tchimbakala, la journaliste de TV5. Malheureusement la production de l’album n’avait pas bénéficié d’une promotion adéquate. Ce fut le début d’un chemin de misère car les producteurs ne s’intéressaient plus vraiment à moi.
Pensez-vous alors que votre carrière de chanteur était jetée aux oubliettes avec un premier disque sans succès ?
Je l’ai réellement pensé, mais la rediffusion de mes œuvres dans les médias, suivie de la publication des chansons dans un autre album m’avait redonné courage et rangé à côté des grands musiciens de mon pays. Je me suis retrouvé hissé à côté des grands noms comme Pamelo Mounka, Jean Serge Essous, Pierre Moutouari, Casimir Zoba dit Zao et bien d’autres…
Des difficultés rencontrées pendant l’enregistrement?
Premier Salaire, un 33 tours arrangé par Freddy Kebano qui avait placé deux autres chansons et assuré l’enregistrement dans un studio de 8 pistes, implanté chez lui, sous le label Tchi Tchi.
Vous rendez-vous compte, je fus le premier artiste enregistré dans ce studio! Freddy Kebano avait choisi tous les musiciens qui m’avaient accompagné. Je fus très impressionné mais, je repris confiance en moi et me lançai dans l’arène avec le but de gagner. Le succès fut fulgurant! Je courus le risque d’abandonner mes études ! J’eus même des frictions avec mes professeurs qui devinrent durs envers moi. J’étais alors étudiant en histoire-géographie à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville. Cette attitude freina mes élans pour faire une promotion conséquente et la vie du disque prit un coup.
Pour un artiste, une promotion qui tourne mal correspond à un coup de massue et bien souvent la crainte d’échouer lors d’un deuxième enregistrement reste omniprésente. Les producteurs vous tournent cruellement le dos. Il est très difficile de se retrouver dans l’oubli après avoir connu un grand succès.
Vous rencontrez d’autres personnes comme Baroza, Dercy Mandiangou, Claver Mabiala, Jacques Loubelo, Jean Rémy Guedon : que vous apportent-elles de nouveau dans votre cheminement artistique?
De toutes mes nombreuses chansons, j’ai toujours été auteur et souvent compositeur jusqu’à être arrangeur.
En tant qu’auteur compositeur, j’avais les facultés d’écrire et de créer des chansons à registres très variés. Les arrangements de mes nombreuses chansons nécessitent naturellement les apports de plusieurs artistes. Tous les musiciens dont les noms sont cités ont apporté leur contribution pour donner la forme actuelle de mes chansons.
Comment regardez-vous votre répertoire aujourd’hui?
Depuis le titre phare Premier Salaire, (1982) chanson qui exprimait l’embarras dans la gestion de la première paye d’un jeune travailleur dont le premier salaire est géré par les membres de la famille, en passant par Marie France (2023) qui raconte la cruelle douleur sentimentale d’un jeune homme qui doit accepter la rupture demandée par son amie ou Demain Kizamen, (1986) qui résume la psychose d’un élève qui réalise qu’il va manquer son évaluation parce qu’il ne s’est pas préparé ou Makutu, (2006) qui invite à la sagesse et à la prudence pour éviter des ennuis, mon répertoire s’est bien enrichi. L’amour y est présent même si vécu de manière douloureuse, mais l’amour maternel dans Mama est une belle chanson dédiée d’abord à ma mère puis par la suite à toutes les femmes de la terre. C’est l’expression de l’amour maternel, un devoir et un hommage à toute mère à qui on doit la vie et l’éducation. J’avoue que je savoure mon répertoire.
Aviez-vous un partenariat avec des musiciens du monde?
C’est le point faible de ma musique. Jusqu’à lors je ne dispose pas d’une équipe conséquente pour assurer la promotion des œuvres. Actuellement le musicien doit évoluer dans un groupe de gens aguerris des arrangeurs, programmeurs. Avec l’avènement du numérique, il faut des gens qui maîtrisent les réseaux sociaux pour assurer la diffusion dans les plateformes de distribution. J’avoue que ce point me manque cruellement. Je suis seul à œuvrer, seul. Je lance un appel à toute personne de s’approcher de moi afin de rattraper ce manquement qui empêche ma musique de décoller.
Des musiciens rencontrés avec lesquels j’ai réalisé quelques chansons, oui. Par exemple j’avais enregistré avec Karaisse Fostio une formidable chanteuse camerounaise, une belle chanson encore inédite. J’ai bénéficié de l’expertise du grand arrangeur Jean Rémy Guédon pour la reprise de Premier Salaire, version opéra avec portée musicale que la fanfare peut jouer.
Les chansons Marie France et Zoubakela furent améliorées avec des musiciens cubains. Enfin nous venons d’enregistrer pour le compte du secours catholique de France un album de cinq chansons. J’ai été le seul Africain dans le groupe Filao. Ça été une grande expérience pour moi. Je suis très fier de cette réalisation où j’ai signé deux chansons. Nous attendons la publication.
Je suis dans la phase de la collecte de fonds et j’espère une cagnotte de 3000 euros afin de finaliser le travail. Tous les cotisants recevront un exemplaire de 14 titres : voici ci-dessous le lien pour ceux qui veulent participer à la cagnotte :
Des personnalités musicales qui vous ont particulièrement marqué?
Tabu Ley Rochereau, m’a beaucoup inspiré. Les griots comme Jacques Loubelo, Franklin Boukaka, Pierre Akendengue m’ont indiscutablement influencé. Mon contemporain et ami Zao une sympathie et l’orchestre Les Bantou de la Capitale.
Vous souvenez-vous de votre premier voyage hors de votre Congo natal? Des souvenirs à partager avec nos lecteurs?
Mon premier voyage hors du pays était en février 2006. J’avais répondu à un appel en Libye à Tripoli. Une délégation de dix-sept artistes congolais avait quitté Brazzaville pour une rencontre internationale de la jeunesse africaine. C’est au cours de ce voyage que j’ai joué dans plusieurs salles de la capitale libyenne. Le succès de mes prestations était arrivé jusqu’à la présidence de la grande Jamahiriya où je fus invité pour chanter à l’intérieur du palais devant le grand guide de l’époque.
Depuis quand vivez-vous en France : quel bénéfice tirez-vous de votre exil ?
Je suis arrivé en France en 2017 et je deviens de plus en plus visible en tant qu’artiste. Je profite des structures d’enregistrement modernes d’ici.
J’ai également la facilité de rencontrer des musiciens plus compétents que moi : Felly Koubaka,
Luiz Marenza,
Andrea Ramireza
Bony Otsoua. Je me sens heureux et par conséquent ma musique prend de plus en plus d’envol. Elle gonfle ses voiles.
Quels sont les défis auxquels vous faites face en terre française?
Je suis retraité. Je vais prendre soin de ma santé et donner le meilleur de moi-même. Me plonger profondément corps et âme dans ma création musicale pour la rendre plus belle, plus accessible à tous. Que Kaly Djatou des Bilengue Sakana de Brazzaville fasse danser le monde entier au rythme de sa rumba-afro-cubaine. Que Kaly Djatou soit une autre feuille qui chante pour son pays et que la fête soit belle. Avec l’avancée des technologies numériques actuelles, je dis tout simplement :Rien n’est plus impossible.
Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo
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