Liesbeth Mabiala :  Un esprit qui va chercher dans les autres, l’invisible…

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

Liesbeth Mabiala :  Un esprit qui va chercher dans les autres, l’invisible…

Liesbeth Mabiala :  Un esprit qui va chercher dans les autres, l’invisible…

 

Liesbeth Mabiala est une jeune entrepreneure qui aime résumer sa vie de la manière la plus parfaite possible : elle est comptable de formation, commerciale et journaliste de profession. Elle est célibataire et mère d’un grand garçon de 19 ans. Et l’art est sa passion.

En 1995, vous apparaissez sur la scène artistique congolaise comme chanteuse ; peut-on savoir plus sur cette période ?

J’ai toujours depuis ma tendre enfance aimé la musique, la danse et la littérature. À 15 ans je me lance dans la musique en créant un groupe de RAP avec quelques amis, RU32 ( ARE YOU FREE TOO? Es-tu également libre ? ) nous nous produisions tantôt lors des émulations à l’école de mon père, ou, à la foire de Pointe-Noire. C’était une belle expérience, jusqu’à ce que je rejoigne le mythique groupe LEGITIME BRIGADE en 1999.

Des souvenirs sur cette période de votre adolescence ?

Oui, je me souviens que je devais souvent jongler entre l’école et les répétitions, et pour garder le Cap à l’école, je blanchissais des nuits à travailler. Car il n’était pas question pour mon père, que je délaisse mes études au profit de la musique. J’étais déjà à cette époque une grosse couche-tard. et c’est quand je rejoins le groupe LEGITIME BRIGADE en tant qu’unique figure féminine que le challenge devint plus intense.  Mais ça reste une belle expérience.

Des années plus tard, on vous retrouve au cinéma. Comme s’est déroulé cette transition ?

À côté de la musique, je faisais déjà du théâtre, dans la troupe Saka-Saka Théâtre de Jean Jules KOUKOU. Une fois à Brazzaville, je reçois la visite d’un ami avec qui nous avons évolué dans ladite troupe, pour m’informer que la réalisatrice Claudia Yoka avait besoin d’une actrice pour incarner le personnage principal dans son film BOZOBA, j’ai rencontré la réalisatrice, elle m’a fait passer un rapide casting auquel j’ai réussi et c’était parti. Quelques mois plus tard je jouais un autre premier rôle dans un film humanitaire sur le VIH SIDA, LA MINE d’Antoine YIRIKA. Et depuis lors, je ne quitte plus le 7eme art. Voilà comment est née cette passion.

Dans combien de films avez-vous participé ?

En tant qu’actrice ? en tant qu’actrice j’ai participé dans 8 films 2. En tant que réalisatrice ? j’en ai réalisé 4 dont le dernier en production, sortira en 2024.  Grâce à ces films j’ai participé à des festivals en France, au Maroc, au Cameroun, au Burkina Faso…

Entre être actrice et être réalisatrice, dans quelle peau vous sentez-vous le mieux ?

J’aime les deux casquettes, je me sens bien tant dans l’une que dans l’autre. Mais je pense que je mettrai plus en avant la productrice et la réalisatrice.

Quel est le but poursuivi par vos films ?

Au départ c’était pour moi un espace de revendication et un canal pour passer mes messages axés sur la femme et l’enfant. Aujourd’hui, mon regard sur ces derniers n’a peut-être pas changé mais évolué. Et les messages, plus diversifiés.

Votre penchant pour la culture, est-il un héritage familial ou un choix personnel ?

Je ne saurais le dire, ce que je sais, c’est que dans ma lignée maternelle nous sommes une famille d’artistes. Tant dans la littérature, la photographie, le théâtre que la danse… alors je pense l’avoir hérité de ce côté là.

Le regard du monde sur l’’artiste que vous êtes, pèse-t-il au point de freiner parfois vos objectifs ?

Non, le regard du monde sur l’artiste que je suis ne peut freiner mes objectifs, je suis une sagittaire, et rien ne nous freine si ce n’est de notre propre gré (sourire).

 Êtes-vous aussi confrontée au phénomène crucial de harcèlement dans le milieu culturel que beaucoup dénoncent à haute voix ?

J’ai longtemps été harcelée, pas seulement dans le milieu culturel, mais professionnel et scolaire en général. Et mon combat féministe est lié à tout cela. Nous sommes dans un monde où la femme n’est pas jugée à sa juste valeur. Sa compétence ne primant pas sur sa beauté, au point où  beaucoup de beaux profils ayant des valeurs nobles et des compétences incroyables, ne sont nullement mis en lumière…

Comment réagiriez-vous si vous veniez à en être victime ?

J’en ai déjà été victime et ma réaction a toujours été la même. JE NE CÈDE PAS.

Selon vous, l’artiste doit-il aller au-delà des limites tracées par la société ?

Si un artiste ne va au delà des limites tracées par la société, il n’en est pas un. Un artiste est un esprit qui va chercher dans les autres, l’invisible, pour le ramener au monde physique.

En quoi faisant par exemple ?

Observez attentivement les grands artistes et vous y trouverez votre réponse. Ce sont des lanceurs d’alerte, des gens à part, qu’on ne peut cloisonner…

Il est dit de vous, que vous êtes bosseuse, positiviste et proactive ; est-ce là une réelle affirmation de votre ADN ?

Je me souviens (sourire) qu’un jour alors que mon fils travaillait très tard, je me suis permise de le lui reprocher et lui demander de ne pas travailler si tard. Sa réponse m’avait figée (sourire) il m’a juste répondu, c’est toi qui me dis ça ? Je n’ai, pour ainsi dire, pas de repos, et me reposer est quasiment synonyme de me rendre malade.

La présence de la femme dans le cinéma congolais (actrice et réalisatrice) est-elle une démarche à encourager, selon vous ?

Si je ne le pensais pas, je ne serais plus dans ce secteur d’activité.  Est-elle présente dans les autres métiers du cinéma comme le script, l’écriture ou encore le scénario ? elles s’y mettent depuis un moment, oui. Je vois de jeunes compatriotes s’y mettre et c’est une grande joie.

Quels sont les sujets qui marquent vos films ?

Jusqu’à ce jour, les inégalités, dans tous les sens du terme.

Le cinéma congolais est encore embryonnaire, s’il faut le dire. Selon vous, quelles en sont les causes ?

Je ne le pense pas embryonnaire, plutôt mal nourri, au point de ne pas se développer convenablement. et pour cause, le non encadrement de ce secteur, le non accompagnement des projets et des acteurs des différents corps constituants ce secteur, le manque de distributeurs compétents etc…

Avez-vous des contacts directs avec d’autres réalisateurs du pays ?

Oui, je dirais avec la plupart des réalisateurs du pays.

Vous est-il déjà arrivé de travailler sur un projet avec quelques-uns ?

Oui, avec Richi MBEBELE sur mon précédent film ELONGA. Et avec d’autres sur mon court métrage DILEMME.

Quelle expérience en aviez-vous tiré ?

J’ai aimé l’ambiance sur le plateau, et la complicité. Nous en sommes tous sortis, un peu grandis et avec un peu plus d’expérience.

Et si vous pouviez proposer une solution d’approche face à cela, que diriez-vous à cet effet ?

Une solution d’approche face à quoi ? au fait de travailler ensemble ? c’est un choix individuel, revenant à chaque production ou réalisateur. Je ne puis proposer une quelconque approche de solution là dessus.

Et si vous nous parliez de votre média en ligne Cultures.cg ?

Ce bébé que nous avons créé il y a deux ans est un projet que je mûri depuis plus de 5 ans, mais je ne savais comment le mettre sur pied. Le confinement est le déclic ayant conduit à l’éveil de cette force motrice m’ayant poussée à me lancer corps et âme dans ce projet, afin de valoriser le MADE IN CONGO et de le montrer au monde au travers d’un média axé sur la culture, l’éducation et l’environnement. Avec la particularité de créer notre propre contenu. Bien sûr, un tel projet requiert d’énormes moyens financiers que nous n’avons pas encore, raison pour laquelle, nous y allons lentement mais sûrement, avec mon équipe, que d’ailleurs je remercie.

Pensez-vous avoir atteint vos objectifs ? sur cultures.cg?

Non, même pas 10% de mes objectifs. Je vois ce média à un niveau qu’il n’a pas encore atteint, il n’est même pas à la plante des pieds des objectifs que je me suis fixés.

S’il y a une chose que vous souhaiteriez changer dans vie, laquelle serait-ce ?

J’aurais aimé (rire) que mon père, mon premier mentor ne soit jamais parti si tôt.

Propos recueillis par Fred Arthur Mouanda Kibiti