GABRIEL OKOUNDJI – Chant de l’âme qui parle à l’âme

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

GABRIEL OKOUNDJI – Chant de l’âme qui parle à l’âme

  GABRIEL OKOUNDJI

 

 » Me présenter ? Vous dire qui suis-je ? Cette question est sinon inabordable, du moins sincèrement difficile puisqu’aucun humain ne peut se voir. Et qui donc peut se définir aisément, sans quelque omission et sans tomber dans le piège des appartenances ? Enfin ! Et puisqu’il me faut répondre, je crois savoir que je suis né il y a longtemps, au siècle dernier, soixante ans plus tôt. Né sur une terre, Okondo, petit village à la beauté concrète, inondé de lumière. C’est là, au contact immédiat avec la nature, que j’ai fait mon premier apprentissage de la vie. A 13 ans, j’ai quitté mon terreau de naissance pour Brazzaville, la capitale de mon pays, le Congo. Alors second apprentissage, le collège, puis le lycée. Une fois mon Bac obtenu, et à la faveur d’une bourse d’études de médecine accordée par l’État de mon pays, j’ai quitté Brazzaville pour Bordeaux. Mes études universitaires terminées, faute d’un poste de travail au Congo, j’ai décidé d’exercer ma profession de psychologue clinicien dans la ville de mes études. Et, tout naturellement, la capitale de la région Aquitaine est devenue ma seconde patrie. Voilà, je crois, qui est l’homme en moi. « 

Telle est la réponse de Gabriel Okoundji quand nous lui demandons de se présenter à notre lectorat.

De Brazzaville à Bordeaux : quel sacré voyage !

Oui, en effet, tel est mon sentier devant l’immense route qu’est la vie. Et, tout au long de mon itinéraire, les rencontres ont été nombreuses. Je me suis toujours souvenu que le sens du sentier n’appartient pas au sentier, mais à celui qui l’emprunte. Alors, sans fin ni cesse, je tente au quotidien à vivre au voisinage des autres, sans toutefois me confondre. A être en harmonie avec le monde qui m’entoure, sans chercher à le dominer.

 Qu’est-ce qu’un psychologue clinicien en hôpital peut raconter à un poète, en d’autres termes, comment distinguer le psychologue du poète? Peut-on parler d’une influence intrinsèque entre psychologie et poésie?

La parole, comme la beauté, comme la vie, est une énigme. C’est cette part de l’énigme enfermée dans l’homme, à laquelle je suis confronté au quotidien dans l’exercice de ma profession de Psychologue clinicien à l’hôpital. Cela m’amène vers d’autres interrogations sur ma capacité à entendre l’autre dans la pénombre de son existence, le comprendre malgré le tumulte de son histoire, l’accepter dans son entière humanité, etc.

Quant au poète en moi, j’ai toujours affirmé que je ne me considère pas comme un écrivain. J’ai conscience que je demeurerai, toute ma vie, un apprenti poète. Je ne suis poète que par accident, ma poésie n’est écrite que par nécessité d’un support. Je me sens avant tout interprète de la voix des anciens, des diseurs d’essentiel. Parmi eux, la conteuse Ampili, et Pampou, l’immense souffle de Djouama. Je ne sais parler véritablement que la langue qu’ils m’ont apprise. Alors, bien malin qui le saura, quid d’une influence de Dupont à Dupont !

Parlant de poésie, vous aviez participé à la création de l’anthologie « Congo rêve solidaire Ce que dit la vision du poète » initiée par les poètes Bilombo Samba et Huppert Malanda : Comment êtes-vous entré en contact avec les auteurs et aviez-vous accueilli leur projet ?

Je viens de vous évoquer Ampili et Pampou. Cependant, mes amers en poésie sont nombreux. Et du côté du Congo, il y a le considérable Tchicaya U Tam’si, le discret Jean-Baptiste Tati Loutard, et Jean-Blaise Bilombo Samba, mon aîné d’une même mère, infatigable bâtisseur des passerelles de la phratrie des écrivains du Congo. C’est donc tout à fait naturellement, à la faveur de la parole de mon aîné Bilombo Samba, que je me suis inscrit, sans hésitation aucune, dans ce projet.

 Votre poème « Chant pour la patrie » est dédié à l’aîné Bilombo Samba, que vous nommez « l’aîné, frère d’une même mère » : le Congo, la mère patrie? La poésie la matrice créative de liberté, de solidarité et d’unité ?

Comme je viens de le dire, notre phratrie est le ciel entre les mains des écrivains congolais. C’est de cette phratrie, riche de sa multiplicité, que s’élève la pensée comme sève au printemps. Telle est la singularité de notre riche créativité. Et mon aîné d’une même mère Bilombo Samba, est de ceux qui attisent le feu de la transmission entre les membres de cette phratrie.

De même vous citez un autre aîné Jean-Pierre H. Lekoba, pour quelle espérance, quels souvenirs?

Je demeure continuellement au voisinage des voix qui m’offrent la nourriture dont j’ai besoin pour cueillir le souffle nécessaire à mon cheminement. Et vieux Jean-Pierre Heyko Lekoba est pour moi, non pas une boussole, mais un arbre vertical dans sa façon d’être au monde. Il est de ces arbres à l’âme mûre, aux rizhomes étendus même là où le sol dépromesse l’infertilité des Hommes. C’est lui Lekoba qui m’a appris que dans une forêt, aucun arbre n’est semblable à l’autre. Il m’a encore appris que partout au monde, aucun arbre n’est misérable.

 Et cette extraordinaire image de « L’eau du feu » pas « l’eau et le feu » :  Où saisir le déclic pour ouvrir le sésame ?

La clé de ce sésame n’est vraiment pas à chercher loin. Elle est sur la porte de la plupart des langues parlées au Congo. En lingala, pour ne prendre que cette langue, on dit : Máyi ya mɔ́tɔ́, donc l’eau du feu, pour désigner l’eau chaude.

 Dans le texte « Sois prudent face à l’eau du feu » le maître mot est prudence. Mais prudence face à qui, à quoi, à la vie, aux peines, aux lendemains invisibles ?

Ailleurs, j’ai écrit dans un de mes poèmes : la prudence est la garantie de l’éternité du chemin. Il en va aussi de la patience : j’ai formulé dans un vers, il y a longtemps, ceci : Va lentement ton sentier ! Car vivre, c’est affronter chaque jour les dénivellations du chemin. Et les obstacles qui frappent tantôt l’âme, tantôt la chair, ne manquent pas. Il faut donc de la prudence et de la patience pour qui désire traverser la nuit parmi les inconstances des ténèbres, et parcourir le jour sous les lumières glissantes du ciel. Voilà pourquoi, pour revenir encore au lingala, plusieurs chansons populaires aiment à nous rappeler : Sála kiɛba na la vie ! qui signifie : Prudence en ton chemin de vie !

 La poésie vous fait parcourir le monde; Afrique, Amérique, Asie etc. : quelles sont donc les pépites que vous découvrez lors de vos voyages ?

Bien évidemment, la poésie est universelle, ses pépites sont la chose la mieux partagée. Les étoiles de la constellation des poètes n’ont point de territoires. L’Europe a ses réalités, l’Amérique les siennes, et l’Afrique aussi les siennes ; et l’Asie, l’Océanie etc., vivent les leurs. Mais en ce qui concerne le chant du poème, la voix reste voix de l’âme. Et l’âme souffle partout sur la terre. Par le poème, l’homme ne renaît pas, ne migre pas d’un territoire à l’autre, il revient tout simplement au monde. En revenant au monde, l’homme tout naturellement reconnaît l’homme en tout homme. En se reconnaissant lui-même dans la commune ressemblance, l’homme cesse d’être un étranger pour l’homme. Voilà pourquoi je souscris à cette maxime de Manuel Torga : « L’universel, c’est le local moins les murs. »

 Des prix, des distinctions?

Oui, ma quête poétique a la chance d’avoir été couronnée par de grands Prix littéraires, que ce soit pour un ouvrage, que ce soit pour l’ensemble de l’œuvre. Bien évidemment, cela encourage, réchauffe le cœur et pousse à encore approfondir le chant. Mais ces prix qui ont par ailleurs donné un peu plus de visibilité à mes écrits, ne constituent aucunement ma terre promise. Car, je ne me considère pas comme un écrivain, je l’ai dit, je n’ai jamais cherché à l’être. L’essentiel pour moi est de demeurer attentif au voisinage du silence de la vie et du vacarme du monde, et d’apprendre, tous les jours. Enfin, pour encore affirmer mes propos tenus plus haut, je demeure un apprenti poète, je ne suis poète que par accident. Je me considère viscéralement comme un interprète de la voix des anciens qui a mûri dans mon ventre.

L’ouvrage critique que m’a consacré le Professeur Jacques Chevrier “ Gabriel Okoundji, poète des deux fleuves” (2014), souligne judicieusement ces différents aspects de ma quête littéraire. C’est un ouvrage très riche pour qui souhaite s’intéresser à mon univers.

Que ressentez-vous quand un de vos titres est traduit en une autre langue ?

Prenez le temps de relire “Apprendre à donner, apprendre à recevoir”, un petit essai sur mon parcours, paru il y a quelques années déjà. Et à ce jour encore, j’apprends que mes livres voyagent, recueillent une certaine audience et quelques récompenses – certains d’entre eux sont traduits –  !

Tenez, je viens de recevoir une belle et volumineuse anthologie de 376 pages, parue en Colombie sous le titre “El mundo entero descansa sobre las rodillas de una hormiga” (Le monde entier repose sur les genoux d’une fourmi); éditions Escarabajo 2022, traduit par Leandro Calle. Leandro a par ailleurs déjà fait paraître les traductions de cinq autres de mes ouvrages en Espagne et en Argentine.

Ces traductions de mes livres dans différentes langues sont avant tout une histoire de rencontres et une expérience de partage. Je les accueille comme un hommage que les amoureux de la poésie rendent à la poésie, un geste d’engagement qui atteste que le partage au-delà des langues est chose possible, que nous sommes tous au monde, livrés aux mêmes contingences et à la même faim, à la même soif, dans notre quête existentielle.

Et si l’on vous demandait de définir la poésie ?

Je répondrais simplement qu’elle est chant de l’âme qui parle à l’âme de qui a su l’entendre. Conséquemment, cet autre saisi par ce chant, laisse alors son cœur aller dans la source de l’émerveillement, jusqu’aux murmures que psalmodie le sang dans les veines : l’émotion.

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo