JEROME NZOUSSI – Ouvriers des belles lettres
JEROME NZOUSSI Ouvriers des belles lettres
Jérôme Nzoussi est Inspecteur du Travail à la retraite et Écrivain des nouvelles générations. Quand il parle de nouvelles générations, il ne parle pas de l’âge, puisqu’il a soixante-trois ans ans, mais des générations d’écrivains qui viennent récemment d’intégrer les rangs des auteurs Congolais. Il vit à Brazzaville au Congo.
Orienté dans une série scientifique au lycée, votre séjour de trois ans à l’école des instituteurs vous pousse aux lettres. Qui est ce qui est à l’origine de ce déclic ?
Avant d’entrer à l’École Normale des Instituteurs (ENI) de Loubomo (actuelle Dolisie), je découvre le théâtre avec la troupe théâtrale Centre Expérimental d’Art Dramatique (CEAD) de Maître One, en interprétant un rôle dans la pièce « Visage de bois ». A l’ENI, nous nous sommes imposé l’obligation de jouer plusieurs pièces. Ainsi, c’est cette intense activité culturelle couplée aux différents enseignements à nous dispensés qui me fait tomber amoureux de la littérature.
Pourquoi seulement le choix du théâtre ?
Lorsqu’on rencontre une créature pour laquelle on s’entiche, on veut rester plusieurs heures avec elle sans se lasser. Et puis, on voulait se faire un nom dans la ville de Loubomo où nous avions en face de nous, les comédiens du lycée et des collèges de cette ville.
Peut-on avoir la liste plus ou moins exhaustive des pièces dans lesquelles vous avez joué ?
J’ai interprété plusieurs rôles dont les plus importants sont dans les pièces suivantes, certains noms d’auteurs ont quitté ma mémoire mais voici la liste : Visage de bois, Les Aryens, de Letembet Ambili, Ce n’est qu’à toi, de Jean Denis Nzenguis, La secrétaire particulière, du camerounais Jean Pliya, L’enfer c’est Orféo, de Sylvain Bemba et bien d’autres…
Par exemple, Dans visage de bois, j’ai d’abord joué le rôle du garde. Celui qui fait assurer le calme et le silence là où se règle le problème du divorce. Ce rôle m’inspirera dans la rédaction de ma pièce Infâme divorce. Mordu par la passion théâtrale, j’ai demandé de jouer un rôle plus important dans la pièce. Car le garde ne disait que « Silence ou taisez-vous… » Je voulais un rôle plus important dans la pièce et le metteur en scène me donnera le rôle du père du divorcé. Là au moins j’intervenais dans plusieurs actes. Dans Les Aryens j’ai joué le rôle du geôlier.
Et vous y avez-vous côtoyé certains noms du théâtre congolais?
Vous avez raison, en effet, j’ai rencontré Maitre One, un comédien qui m’a fait découvrir la scène. Il m’a fait monter sur scène le jour même du festival régional de la jeunesse à Pointe-Noire. Cela se passe au Lycée Karl Marx en 1979! C’est à cette occasion que j’ai croisé la route de Mapaha Nestor Myzere qui jouait dans la troupe du lycée. C’est d’ailleurs cette troupe qui avait pris la première place et qui avait représenté la région du Kouilou au premier festival national de la jeunesse à Brazzaville. Avec lui et Jean Denis Nzenguis, un autre comédien nous avons joué dans la pièce Les Aryens de Letembet Ambili, sans oublier Rufin Tévoth dit Kaba Ndoudi, un comédien hors du commun. Et que dire de Dieudonné Ifissa !
Ce passage portera-t-il l’empreinte d’une de vos pièces ?
Tout à fait. Inspiré par les pièces qui ont forgé mon être artistique, je ne pouvais qu’écrire Infâme divorce, une pièce de théâtre qui sera jouée par des jeunes dans la ville de Loutété. Dans cette pièce, je dénonce le coût exorbitant de la dot que la famille de la mariée est, lors du divorce, incapable de rembourser.
Pourquoi alors, avoir abandonné cette passion pour vous lancer dans la photographie et la décoration des années tard ?
Parce que dès mes débuts dans la carrière enseignante, je suis nommé animateur culturel dans la ville de Loutété. Je devais encadrer les élèves en dessin. Si je devais être à même de remplir ce devoir, il me fallait des connaissances dans ce domaine ; d’où mon initiation à la photographie et à la décoration.
Curieusement après plusieurs mois, vous revenez à vos premières amours : la littérature et plus particulièrement à la poésie, pas au théâtre. Peut-on connaitre les raisons de ce retournement de situation ?
Oui ! Mon rôle d’encadrer les élèves m’amène avec la pratique vers la poésie. A l’époque, Un collègue, Gaston Atipo, écrivait des poèmes que je devais après faire déclamer par les élèves. Je devais moi-même connaître ces poèmes par cœur pour mieux les faire mimer ensuite par les enfants. A force de fourgonner dans les textes d’Atipo, de certains auteurs congolais et français, j’ai alors commencé à écrire. Le tout premier texte que j’ai pu écrire était si simple que je le voyais dans les cahiers (morceaux choisis au Certificat d’Études Primaires et Élémentaires (CEPE) de beaucoup de candidats. Ce texte le voici :
FATALITE
Le temps presse
La vue baisse
La vie cesse
Tout se lasse
Se glace
Et se casse
Quel désespoir
Quand vient le soir
Et que descend le noir
Alors
Tout dort
C’est la mort
Un recueil de poésie publié à cet effet ?
Non ! Pas pour le moment.
En 2004, vous êtes troisième au concours de la meilleure nouvelle organisée par le département de la Bouenza. Parlez-nous, en quelques mots, de ce concours.
2004 est venu comme un coup de fouet me dire ‘’continue de lire tes ratures’’. (Rire). Un ami m’a toujours dit que littérature signifie : LI-TES-RATURES. Depuis trois années, la direction départementale de la culture de la Bouenza organisait, sous le patronage de la Préfecture, le concours de la meilleure nouvelle. Cette année était la 4ème édition et le thème retenu fut : le veuvage au Congo. Parmi les 3 nominés sur les 15 participants que nous étions, mon texte « DUNGUEBE » sera classé troisième. DUNGUEBE en langue punu signifie compassion. Dans Aurore, j’ai préféré mettre le titre Amertume. La remise des prix se fera en fin 2005 et jusque-là je ne savais pas encore que j’eusse été retenu parmi les meilleurs de l’édition 2004. C’est en voulant retirer mon manuscrit que je serai informé à ce propos. Les organisateurs avaient tenté de me joindre, malheureusement des mois après le dépôt de ma candidature, j’avais changé de contact. Ce qui fait que jusqu’à ce jour je n’ai jamais reçu ce prix.
Y aurait-il une raison ayant motivé votre participation à ce concours ?
La seule raison était de changer d’audience puisque jusque-là ne me lisait que le cercle restreint de mes amis.
Ce concours existe-il encore à ces jours ?
Oh ! Vous savez, les bonnes choses ne durent pas. Le fait de ne plus organiser ce concours est une privation qui démotive les écrivains en herbe qui trouvaient en ce concours l’occasion de se faire découvrir.
En juin 2017, enfin, vous publiez votre premier recueil de nouvelles, intitulé « Aurore »
aux Éditions Lettres mouchetées.
Du tapuscrit au B.A.T je ne croyais pas encore en ce que j’écrivais, mais c’est lorsque je tiens enfin le livre Aurore dans mes mains, en juin 2017, que je réalise que c’est une nouvelle page qui commence à s’écrire pour moi. Et si cela a été rendu possible, c’est grâce au soutien apporté par Chardin Alphonse Kala à qui d’ailleurs je rends un grand hommage.
Comment cela s’est-il déroulé ?
Après avoir lu et apporté quelques touches à mes textes, Chardin Alphonse Kala m’a mis en contact avec Madame Muriel Troadec, directrice des Editions Les Lettres Mouchetées qui a accepté publier ces textes. Un mois plus tard, nous signons deux contrats : le premier sur la version électronique avec une mise en vente ebook à Amazon et le deuxième sur la version papier.
« Aurore ». Pourquoi ce titre et pas un autre ?
Aurore, parce que c’est le commencement de la carrière d’écrivain, si elle peut se révéler en être une. J’ai cherché une image qui pouvait mieux expliquer ce titre, c’est à Epena dans le département de la Likouala, où je suis en mission, que je la trouve. Il est cinq heures une lueur matinale présente en fond de toile le soleil qui commence à projeter son ombre ultra-violette sur le fleuve Likouala aux herbes.
La course s’est-elle donc arrêtée à ce point ?
Quand on plonge dans les flammes voraces du grand fleuve littérature, on n’a plus qu’une seule passion : écrire et toujours écrire.
Beaucoup d’acteurs culturels congolais se plaignent du désintéressement total del’autorité de tutelle. Êtes-vous de cet avis ?
Je suis de ceux qui le pensent. Le Ministère de la culture se désintéresse des activités menées par les écrivains. J’ai déjà assisté à plusieurs présentations des auteurs congolais, je n’ai jamais constaté la présence d’un agent de ce ministère, même lorsque ces activités ont lieu au niveau de la salle de conférence dudit ministère. Je me demande s’il y a encore une salle qui peut abriter des manifestations culturelles comme l’étai le CFRAD ? Et puis, ce Ministère accorde un peu plus d’importance aux musiciens qu’aux autres acteurs culturels qui par leurs œuvres font l’honneur du pays. Peut-être parce que certains musiciens adulent les politiques.
Quels remèdes, à votre avis, pour sauver le bateau culture congolaise, menaçant de rompre ?
Le Ministère de la culture doit recréer des espaces culturels où non seulement se découvrent les artistes, mais aussi où se développe le goût de la lecture. Organiser des concours et encourager les acteurs culturels pour permettre l’éclosion de nouveaux talents. Il doit établir des échanges avec les différentes organisations des artistes et écrivains. Les décideurs doivent valoriser le livre congolais dans les programmes scolaires.
Avez-vous des projets en cours ?
A la présentation d’Aurore à Sibiti, Florent Soni Zaou (Présentateur) disait que la publication d’un premier livre n’a souvent été qu’un simple coup de foudre, alors que le second à paraître doit affirmer l’amour pour l’écriture et le troisième doit être la confirmation de la démarche amorcée. J’ai donc envie de m’affirmer en présentant au public d’ici un an, un nouveau-né dans le cadre du roman, de la poésie ou de la nouvelle.
Un dernier mot ?
Pour mieux communiquer par et à travers le livre, les littérateurs, ouvriers des belles lettres doivent former une phratrie solidaire.
Propos recueillis par Fred Mouand Kibiti
42 réponses
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