Prince Arnie Matoko : L’intime conviction de publier un jour…
Prince Arnie Matoko alias Sagacité intellectuelle est né à Pointe-Noire le 05 juin 1982. Très tôt, il perd son père. Malgré l’absence du père, il commence son cycle primaire et secondaire dans sa ville natale. En 2005 il obtient son Baccalauréat Série A4 Lettres et s’inscrit à la Faculté de droit de l’Université Marien-Ngouabi à Brazzaville. Titulaire, en 2009, d’un Master en droit public en Études internationales et communautaires, il est couronné Major de la promotion par le Comité international de la Croix-Rouge du Congo, et a l’honneur et le bonheur de représenter son pays à Niamey (Niger) à la 3ème édition du Concours régional francophone de plaidoirie sur le Droit international humanitaire. Prince Arnie Matoko entre ensuite à l’École Nationale d’Administration et de magistrature (ENAM), filière magistrature, en 2011 et toujours Major de la promotion.
Quand êtes-vous entré dans la fonction publique ?
En 2014, j’exerce alors mes fonctions de magistrat. Marié et père de trois enfants, je suis juriste de formation, magistrat, Procureur de la République près le Tribunal Administratif de Brazzaville. J’enseigne également à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville (Faculté de droit, École Nationale d’Administration et de Magistrature) et à l’Université Henri Lopes ainsi que dans d’autres instituts d’enseignement supérieur privé. Je suis aussi conférencier.
Mais la littérature vous habite…
Oui et de manière passionnée. Je me baigne dans les eaux de la littérature depuis les bancs du collège. Je suis l’auteur d’une production féconde en qualité de poète, moraliste, nouvelliste et romancier. Mon œuvre est saluée par la critique. Depuis 2018, je suis consacré dans plusieurs anthologies de littérature et participe activement dans plusieurs rencontres et festivals littéraires tant sur le plan national qu’international. Je suis également lauréat de plusieurs prix et distinctions littéraires.
En ce qui me concerne, je puis dire que l’écriture n’est pas un hasard mais une vocation. Mon premier contact avec le livre a réveillé en moi l’amour et la passion pour la lecture. Et de fil en aiguille, cette passion est devenue une flamme si dévorante que je ne pouvais plus me passer de la lecture. À force de lire, j’ai fini par forger ma personnalité littéraire. Ainsi, plus cette flamme devenait incontrôlable, plus je nourrissais l’intime conviction de publier un jour, un livre. C’est dans cette optique que je suis né sur la scène littéraire en 2016 avec un recueil de poésie intitulé Mélodie des larmes.
Vous considérez-vous nouveau dans le cénacle des écrivains congolais après toutes vos publications?
On peut bien évidemment dire que je suis un nouveau nom dans le cénacle prestigieux des écrivains congolais, (n’oublions pas que la première publication congolaise date de 1953 avec Cœur d’Aryenne, roman de Jean Malonga, publié à Paris.) Et je suis très fier d’en faire partie. J’essaie, dans la mesure du possible, d’apporter ma pierre à l’édifice littéraire et culturel. De cette façon, je contribue à la promotion et au rayonnement de la littérature congolaise qui est d’ailleurs, faut-il l’avouer, bien appréciée au-delà de nos frontières. Cette affirmation est d’ailleurs confirmée par certains critiques comme Noël Kodia Ramata, Boniface Mongo Mboussa et bien d’autres…
Mais vous avez au moins un nombre significatif d’ouvrages sur le marché du livre !
En effet, j’ai dix livres à mon actif, à caractère purement littéraire. Il s’agit notamment de la poésie, du roman, des nouvelles et des maximes. En poésie, il y a Mélodie des larmes (Chapitre.com, Paris 2016), Sous les ailes de l’aurore (Les Éditions du Net, Paris 2016), L’enfant de l’or noir et du sel (Edilivre, Paris 2016),
Lettres de sang (Renaissance Africaine, Paris 2018), Entre les lignes du silence (Le Lys Bleu, Paris, 2020), Et si je t’aime (Renaissance Africaine, Paris 2023). Pour les Nouvelles, Un voyage à New-York (L’Harmattan, Congo 2016), La colère du fleuve (Renaissance Africaine, Paris 2018). S’agissant des Maximes, Ces fruits de mon jardin intérieur (Edilivre, Paris 2016).
Enfin, le roman : Le livre de ma grand-mère (Renaissance Africaine, Paris 2024).
Votre pseudonyme « Sagacité intellectuelle » a-t-il une signification particulière ?
Je dois commencer par dire qu’en droit, chaque personne et partant chaque auteur ou artiste a le droit de s’attribuer un pseudonyme qui est protégé de la même manière que le nom ou le prénom lui-même. Ainsi, pour répondre à votre question, je dirai en effet que mon pseudonyme « Sagacité intellectuelle » a une signification particulière d’autant plus que cela m’aide à nourrir constamment en moi une ambition noble de travailler toujours avec méthode, rigueur, lucidité et abnégation pour atteindre l’excellence.
L’excellence ?
Oui, je dis bien excellence car sans excellence, on ne peut être ni meilleur ni original. Je puis vous avouer que je me suis merveilleusement attribué ce pseudonyme quand j’étais encore étudiant, en deuxième année à la faculté de droit de l’Université Marien Ngouabi. Depuis lors, cette qualification est devenue comme ma marque déposée. Récemment, j’ai découvert avec un bonheur infini que le grand Cheick Anta Diop a eu à faire usage du même concept « Sagacité intellectuelle » lors d’un discours, alors que je croyais, jusqu’à preuve du contraire ou à cette date, que jetais le seul à avoir forgé l’assemblage de ce mot élogieux et prestigieux. Comme quoi, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, comme l’a su bien le dire l’Ecclésiaste. En un mot, ce pseudonyme est pour moi comme une boussole.
Est-il facile de concilier la magistrature et l’écriture ?
Je me rends compte que deux passions et deux vocations, à savoir la littérature et la magistrature se disputent ma vie. Le désir est viscéral et je ne puis me départir de ces deux passions. Compte tenu de cette double et noble passion qui me dévore, je trouve toujours le juste milieu pour pouvoir concilier la magistrature et l’écriture, et même avec l’enseignement. Et soyez-en sûr, cela me va à merveille.
Le critique Alphonse Kala, parlant de « La colère du fleuve », l’un de vos recueils de nouvelles, dit que ce livre peut être considéré comme « une véritable chronique congolaise avec ses errements et ses bassesses, où la superstition prend parfois le dessus sur le cartésianisme. » Que peut-on comprendre par-là ?
La Colère du fleuve est mon deuxième recueil de nouvelles publié en 2018. Il aborde une multitude des thématiques dont les plus saillantes portent respectivement sur les questions comme l’immigration clandestine, les effets de la sorcellerie dans la société, le chômage, la pauvreté et la place du travail dans la vie humaine, la différence entre l’amitié et l’amour charnel, la place des droits de l’homme etc.
C’est en effet lors d’une présentation de ce livre au Centre culturel Jean-Baptiste Tati Loutard, à Pointe-Noire, que l’écrivain et critique Alphonse Chardin Kala a exprimé en toute objectivité cette assertion. Il me semble que, sans travestir la pensée du critique, la part de la prééminence de la superstition sur le cartésianisme se justifie aisément à travers la nouvelle intitulée La rue des sorciers. En effet, dans cette nouvelle, je dénonce tour à tour la superstition de la sorcellerie enfouie dans le subconscient social et environnemental mais également l’incapacité de la société et des pouvoirs publics à lutter contre ce phénomène paranormal ou métaphysique.
Est-ce là, l’orientation de votre écriture ?
Mon écriture s’oriente au gré de l’inspiration ou de la muse. C’est autant dire que mon écriture n’a pas un sens unique en termes d’orientation mais tout ce qui peut nourrir mon inspiration m’intéresse et par voie de corollaire peut me servir utilement pour assouvir mon imaginaire et construire mon univers littéraire, narratif et poétique. Je reste donc ouvert à la voix de l’inspiration tout en tamisant les vagues de la muse afin de ne retenir que ce qui répond à mes aspirations profondes. Aucun projet littéraire ne peut aboutir sans aspiration profonde ni sans autocensure. L’écrivain doit être son propre tamis.
En outre, mes sources d’inspiration sont diversifiées car elles viennent de plusieurs horizons, de plusieurs cultures et de plus continents à l’instar de l’Europe, de l’Amérique et de l’Afrique. Je dois avouer que j’ai beaucoup lu la littérature française datant du 15e siècle jusqu’au 20 siècle. Fort de cette riche culture, je suis allé par la suite à la découverte de la littérature africaine à travers les anthologies et les œuvres des auteurs majeurs et vénérés.
Pourquoi, selon vous, « le monde est comme une toile d’araignée où l’homme est pris comme une mouche ? »
Cette pensée se trouve dans mon recueil de maximes et proverbes intitulé « Ces fruits de mon jardin intérieur ». Elle exprime l’idée selon laquelle le monde dans lequel nous vivons est plein de méchanceté, de duplicité, si bien que les rapports entre les hommes sont plus des rapports conflictuels qu’amicaux. Chaque jour, les hommes se piègent les uns les autres comme la relation entre la mouche et la toile d’araignée. À ce titre, nous devons être prudents et sages pour ne pas en être victimes.
Prince Arnie Matoko, peut-on donc affirmer que votre écriture est-elle une nouvelle manière de saisir l’essence des choses pour éviter d’être victime de l’ignorance et du désespoir ?
J’écris des nouvelles, de la poésie, des romans et des maximes. Pour cela, je me plais le plus souvent à utiliser un style tantôt grave ou dramatique, tantôt comique. Dans mes œuvres, les styles sont généralement à la croisée des chemins, fruit même d’une culture littéraire multiforme, et par voie de conséquence un véritable creuset de plusieurs emprunts.
Quant à la structure de mes œuvres, j’avoue que je fais abondamment usage du puzzle ou de la déconstruction narrative dans laquelle on peut retrouver toute forme de focalisation.
Cela étant, je peux donc dire que mon écriture est une nouvelle manière de saisir l’essence des choses pour éviter d’être victime de l’ignorance et du désespoir, mais surtout pour apporter de la lumière aux autres.
Quelle lecture faites-vous de la littérature congolaise actuelle ?
Nonobstant les griefs qu’on peut articuler actuellement à tort ou à raison contre la littérature congolaise, je me réjouis énormément de constater que la littérature congolaise vit encore ses beaux jours. Le fondement hérité de nos prédécesseurs demeure encore solide de sorte que notre littérature ne cesse d’émerveiller l’Afrique et le monde. Il suffit de voir la participation constante et qualitative des auteurs congolais dans les différents festivals littéraires internationaux et les prix littéraires qui leur sont décernés. Cette année 2024, on a pu recenser plus de cinq prix littéraires obtenus par les écrivains congolais hors de nos frontières. Je suis d’ailleurs l’un des récipiendaires.
Quels auteurs vous impressionnent le plus et pourquoi ?
La réponse à cette question dépend de la zone géographique. À cet égard, je dirai par exemple qu’en France, je suis plus marqué et influencé par des auteurs comme Molière, Jean Jacques Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, Alphonse de Lamartine, Victor Hugo etc. Aux États-Unis, il y a John Steinbeck, Jacques London etc. Aux Antilles, je citerai Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, etc. Par ailleurs, en Afrique, je reste profondément entiché aussi bien par des poètes comme Senghor, Tchicaya U tam’si, des dramaturges comme Guillaume Oyono Mbia que par des romanciers comme Mongo Béti, Sembene Ousmane et surtout Camara Laye dont L’enfant noir reste encore mon coup de cœur.
À votre avis, l’implication de l’autorité culturelle dans l’évolution de la littérature au Congo vous satisfait-elle ?
Plus ou moins. Je crois que les écrivains ont réellement besoin d’un accompagnement en termes d’’aide à l’édition. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre des personnes qui écrivent au Congo et le nombre des manuscrits qui moisissent dans les maisons faute de moyens financiers ou d’accompagnement.
Les écrivains éprouvent d’énormes difficultés dans le processus de publication. Il s’agit notamment de la rareté des maisons d’édition locales, du coût exorbitant de la publication, du transport ou de l’expédition de leurs œuvres qui sont généralement publiées en France. On ne saurait aussi omettre le manque des libraires professionnels, d’accompagnement désintéressé des promoteurs culturels ainsi que la faible commercialisation des livres à cause du désintérêt manifeste de la population vis-à-vis de la lecture, préférant s’adonner à la consommation excessive des futilités et de la boisson alcoolisée, tout en oubliant que le livre est un vecteur des connaissances et d’épanouissement. Le seul moyen pour un peuple de s’élever des fanges de l’ignorance vers les hauteurs de la connaissance demeure jusqu’à preuve du contraire le livre.
Des projets en cours ?
Dans mon atelier de l’écriture, je dispose d’un projet de recueil de nouvelles en gestation et au moment marqué par le temps, il naitra de mes entrailles pour être présenté au public et au monde. Par ailleurs, je bouillonne d’une multitude d’autres projets littéraires pour l’avenir.
Pour terminer, si Prince Arnie Matoko lecteur pouvait parler à Prince Arnie Matoko auteur, que lui dirait-il ?
Je lui dirai simplement de continuer à lire et se perfectionner davantage pour être toujours au service de la culture et de la littérature congolaises, afin de poursuivre sa noble et lourde mission d’éclairer et d’émerveiller les lecteurs congolais et d’ailleurs à travers ses œuvres. En effet, un vrai écrivain est la sentinelle du peuple.
Propos recueillis par Fred Arthur Kibiti
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