ALFONCINE NYELENGA BOUYA : Je suis plus tendue en écrivant qu’en lisant 

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

ALFONCINE NYELENGA BOUYA : Je suis plus tendue en écrivant qu’en lisant 

 

Alfoncine Nyélenga Bouya est une écrivaine congolaise, qui est née et a grandi à Brazzaville. Elle a été fonctionnaire internationale. Une grande globe-trotteuse. Aujourd’hui à la retraite, elle a choisi de poser ses bagages à Bruxelles, une ville qu’elle connaît bien. Mère et grand-mère heureuse, elle écrit et publie pour meubler son temps, raconter le monde. Nouvelles et romans sont le champ où elle cultive patiemment son espace littéraire.

Votre prénom est Alfoncine avec « f » et votre nom, Nyélenga Bouya. Pouvez-vous nous décrypter ce qui s’apparente comme une dualité entre tradition et modernité ?

Pour l’état civil mon prénom s’écrit avec « Ph ». Pour ma fantaisie littéraire j’ai choisi de l’écrire avec « F » en hommage à la grande musicienne sud-américaine Mercedes Sosa dont les chansons me remuent profondément chaque fois que je les écoute. Entre autres de ses chansons qui ont bercé et bercent mes nuits il y a « Alfonsina y el mar », (Alfonsina et la mer) le genre de chanson qui vous traverse de part en part en déposant sur chaque millimètre de votre personne un parfum envoûtant et énergisant.

Vous êtes nouvelliste et romancière à vos heures perdue : Comment êtes-vous arrivée la littérature ?

Comme pour la plupart des personnes qui se sont mises à l’écriture, tout a commencé par ce besoin souvent violent de dire, de partager avec les autres mes joies, mes peines, mes blessures, mes histoires, un peu de moi-même, d’accorder aussi la parole aux centaines de « sans voix » que j’ai croisés, côtoyés, dépassés. Puis, de fil en aiguille, écrire est devenu une partie de moi.

Vos incessants voyages à travers le monde nourrissent-ils votre écriture ?

Assurément. Mes voyages et séjours dans divers endroits du monde constituent une source d’inspiration pour moi, en somme un creuset multiculturel dans lequel je plonge mon regard.

Combien d’ouvrages publiés comptez-vous à ce jour ?

Au total j’en ai publié quatre, auxquels s’ajoutent des anthologies auxquelles j’ai participé.

Quels y sont les thèmes récurrents que vous abordez

A vrai dire je n’ai pas de thèmes de prédilection. Cependant, il me semble que les questions féminines occupent une place importante dans mes écrits ; il y a également les problématiques liées aux injustices et inégalités sociales, les questions de genre et de violences contre les femmes, etc. Disons que je traite des questions brûlantes de société mais aussi des sujets moins visibles de nos jours mais qui, pourtant, existent.

Pouvez-vous nous faire un résumé de chacun de vos ouvrages en général et de Ingoba Destin forgé, plus particulièrement ?

Je ne pense pas « pouvoir » ni « vouloir » faire le résumé de chacun de mes ouvrages, surtout que parmi eux il y a deux recueils de nouvelles et que chaque nouvelle est unique, différente de l’autre. Par contre je peux dire qu’« Ingoba, Destin forgé », mon dernier roman, traite de l’histoire d’une jeune femme mariée de force par sa famille, qui s’enfuit avec un autre homme bravant ainsi sa communauté pour vivre la vie qu’elle a choisie avec l’homme qu’elle a choisi.

Pourquoi Ingoba et pas un autre nom ? Outre Ingoba, quel autre personnage remarque-t-on dans votre livre ?

Ingoba est un nom qui m’est très cher, un nom de grande valeur dans l’espace culturel Koyo auquel j’appartiens. Mon enfance a été bercée par les contes de ma grand-mère dans lesquels ce nom qui revenait très souvent était porté par des jeunes femmes qui, toujours, triomphaient des épreuves qu’elles traversaient, sans parler d’autres aspects fantastiques du monde rural de la Cuvette congolaise. Pour la deuxième partie de votre question, je suis obligée de vous recommander de vous procurer le livre et de le lire !

Pourquoi le changement d’éditeur ?

Pour changer ! Pour me conformer à ma nature ! J’aime le changement, le mouvement, je déteste le surplace et c’est aussi pour cela que je voyage et continue de bouger tant bien que mal, tant que je peux et comme je peux.

Pensez-vous comme disait Aragon, que la femme est l’avenir de l’homme ?

Mdr ! Mdr ! C’est marrant parce que tout le monde attribue à Aragon cette phrase qui n’est pas vraiment la sienne ! En vérité, Aragon écrit dans son poème « Le fou d’Elsa » que : « L’avenir de l’homme est la femme ; elle est la couleur de son âme ; elle est sa rumeur et son bruit… ». Puis le grand chanteur Jean Ferrat reprend la première phrase en inversant les mots pour les besoins de la rime : « Le poète a toujours raison, qui voit plus haut que l’horizon ; Et le futur est son royaume ; Face à notre génération, je proclame avec Aragon ; Que la femme est l’avenir de l’homme ! » C’était dans les années 1975, je crois ; on était encore dans le souffle de Mai 68 ! Les années Bonheur ! Mais pour répondre à votre question je dis que l’homme et la femme sont l’avenir de l’un et de l’autre, aucun des deux ne saurait concevoir son avenir sans l’autre.

Dans une interview, vous dites : « Le temps d’une vie doit être le temps contre les inégalités sociales ». Croyez-vous la littérature capable de tenir ce pari ? Comment analysez-vous les rapports homme-femme ?

En tout cas pour moi la littérature est appelée à dénoncer, à lutter contre les injustices sociales. Mongo Beti, (pour ne citer que lui puisque c’est son nom qui vient instinctivement à mon esprit,) définit la littérature comme une arme de combat contre les tyrans, l’esclavage, le racisme, la servitude, bref contre toutes les inégalités et injustices sociales. Des exemples de cette littérature sont légion dans toute l’Afrique du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest.

Dans des sociétés inégalitaires les rapports homme-femme ne peuvent être que des rapports inégalitaires qu’il faut, du mieux que l’on peut, avec les armes que l’on tient, équilibrer, harmoniser. Depuis que je suis retraitée et que je ne sillonne plus les coins les plus reculées de la planète pour traquer la pauvreté, les inégalités et les injustices, je me sers de ma plume pour dénoncer ces fléaux.

Vous souvenez-vous du premier livre que vous avez lu?

A force d’entendre cette question qui revient tout le temps je m’emmêle les méninges ! Dans la foulée je vais donc citer : L’enfant noir de Camara Laye, Batouala de René Maran, Les mémoires d’un âne de La Comtesse de Ségur. Il faut dire que j’ai pour moi l’avantage de l’âge et donc je peux me tromper en toute sérénité.

Selon vous le plaisir de la lecture équivaut-il à celui de l’écriture ?

Franchement je dirai non : quand je lis, je suis dans un fauteuil le dos bien calé contre le dossier, les jambes surélevées, ou alors je suis dans mon lit ; bref je suis « relax », cool, zen ! Quand j’écris je suis assise à mon bureau, devant l’ordinateur, et je dois veiller à ce que mon dos reste bien droit, que je ne prenne pas une position avachie et, au bout d’un certain moment, la tension gagne certaines parties sensibles du corps. Je suis plus tendue en écrivant qu’en lisant ; je ne suis pas forcément cool et zen !

Donc… à vous de tirer la conclusion !

Un mot, un souhait à exprimer ?

Obosso ! Toujours devant ! En avant ! Jusqu’à n’en plus pouvoir.

 

Propos recueillis par Fred Arthur Kibiti