Yvon Let-Lewa Mandah : Que l’artiste vive de son art…

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

Yvon Let-Lewa Mandah : Que l’artiste vive de son art…

Yvon Lewa-Let Mandah est le digne fils de Jean Faustin Mandah et Elisabeth Membou Mboungou. Il rêvait d’être médecin, mais c’est l’arène littéraire et artistique qui s’est ouvert à lui de façon inattendue. Il a exercé plusieurs métiers et savoure aujourd’hui ses choix de vie.

Vous êtes donc issu d’une famille nombreuse?

Je suis le 7e des onze enfants de ma mère, Elisabeth Membou Mboungou. Mon père, Jean Faustin Mandah, a eu le bonheur d’engendrer une vingtaine de bambins. Brazzaville, Dolisie et Pointe-Noire ont couvé mon enfance et mon adolescence. J’ai toujours été un brillant, et pour certains, un élève surdoué, à telle enseigne que de l’école primaire à l’université, j’ai été le plus souvent premier de ma classe.

 Des rêves d’enfance vécus?

Je rêvais de devenir médecin. Cependant après mon baccalauréat, j’ai été orienté vers la faculté des sciences de l’université Marien Ngouabi, en chimie, biologie et géologie. Les turpitudes qu’a connu mon pays de 1997 à 1998 ont phagocyté mon second rêve : être géologue. J’ai dû me convertir en professeur d’anglais après une formation. Et j’ai enseigné la langue de Shakespeare dans certaines écoles privées, tout en dirigeant un centre d’apprentissage de l’anglais » English Learning Center» que j’avais créé.

Et finalement, vous trouvez une ancre dans la vie?

Ensuite, j’ai été engagé comme technicien puis manager de logistique du personnel travaillant dans les barges et sites pétroliers On/Offshore respectivement dans les sociétés Getma Congo, Necotrans et Congo Energy Services. Après plus d’une dizaine d’années dans ce secteur d’activités, j’ai opté pour m’installer à mon propre compte afin de pouvoir mieux gérer mon temps entre la vie de famille, ma consécration sacerdotale, l’arène littéraire et artistique, la vie professionnelle et les voyages à travers la planète.

Vous êtes aussi membre de l’Église du Centre du Réveil Chrétien? Que vous apporte cette position de serviteur de Dieu?

Je suis issu de la plus grande église protestante du Congo, l’Église Évangélique du Congo où j’ai été baptisé, formé et j’ai exercé plusieurs fonctions comme Diacre, Conseiller à la Paroisse Plateau, Secrétaire général du bureau paroissial, Responsable de l’action évangélique pour la paix du consistoire de Pointe-Noire. J’ai été aussi leader du Cercle Biblique Évangélique, en sigle CBE.    Depuis bientôt cinq ans, je suis président du Centre du Réveil Chrétien, antenne de Pointe-Noire. C’est un ministère international dont le siège est à Paris en France. Pour faire court, je suis prédicateur itinérant de l’Évangile. Ainsi, j’ai le noble et lourd devoir de propager la bonne nouvelle du salut à toutes les nations.

La repentance et le baptême sont-ils un passage obligé pour marcher avec Jésus et entrer dans sa gloire?

Exact ! On ne peut y transiger. Dire qu’on ne fait du mal à personne et accomplir des œuvres de bienfaisance ne suffit pas pour un homme ou une femme d’accéder au royaume de Dieu. Il va falloir au préalable être né de nouveau, c’est-à-dire, renoncer au péché et accepter Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur en passant par les eaux du baptême.

Que pensez-vous de l’Évangile de prospérité, est-il un modèle biblique? Quelles sont les recommandations du Seigneur?

C’est une déviance. Beaucoup d’imposteurs, vendeurs d’illusions s’en servent comme appât pour exploiter sans vergogne leurs semblables. Par ailleurs, le Seigneur ne nous interdit pas de posséder des biens et de mener une vie agréable, saine sur terre. » Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par-dessus «, dit-il dans Matthieu 6: 33.

 Outre votre qualité de serviteur de Dieu vous êtes aussi homme présent dans le monde culturel et artistique du Congo : que représente ce monde pour vous?

Je ne peux vivre un seul jour en dehors de cet écosystème car il est mon oxygène. D’ailleurs, je pense que toute révolution y tire sa source. Cela peut être vérifié dans toutes les civilisations du monde.

Vous publiez théâtre, roman, nouvelle, anthologie et poésie : quels messages véhiculez-vous dans vos publications?

Toutes mes publications ont pour point de convergence : la quête du bien-être de l’humanité. En effet, je crois a l’avènement d’une société prospère, dépouillée de toute forme d’injustice. J’aime bien paraphraser Martin Luther King en déclarant » I have a dream». Et mon rêve à moi, c’est de voir émerger une société où l’on œuvre harmonieusement avec son prochain pour conquérir le bonheur, en préservant la nature, notre habitat. J’écris pour conduire mes contemporains et la postérité vers une cité idoine. Cette cité, je la nomme, la planète Nament. Puisque j’en suis le démiurge, j’octroie, alors, une invitation et un titre de séjour illimité à quiconque aspire à y résider.

 Pensez-vous que l’écriture peut aider un peuple à tenir debout, bâtir sa fraternité malgré les turbulences du monde?

Affirmatif, car l’écriture suscite une prise de conscience, incite à l’endurance et fait office de catalyseur qui alimente l’espoir des lendemains meilleurs.

Quels sont vos souvenirs les plus marquants de votre création artistique et culturelle?

La publication de mon premier ouvrage, ma première pièce de théâtre «Mon patron n’est pourtant pas un blanc» en 2003 demeure un moment mémorable pour moi. J’ai tressailli de joie en criant : Je suis dorénavant écrivain ! Je me souviendrai toujours également de la première fois quand j’ai foulé le sol hexagonal, invité à participer au Salon du Livre de Paris en mars 2016, en compagnie de Ngoïe Ngalla, Henri Lopes, Mambou Aimée Gnali, Tchichele Tchivela, Emmanuel Dongala, Alain Mabanckou, Gabriel Oukondji, Sylvain Mpily, Ivan Amar…

Mais vous êtes aussi un fin connaisseur du Congo par vos reportages touristiques : quelles sont les motivations qui vous ont poussé à explorer et partager votre passion touristique?

La république du Congo est un paradis touristique. Le fleuve, l’océan Atlantique, la forêt du Mayombe, les gorges de Diosso et bien d’autres sites en sont d’éloquentes illustrations. Vivre, c’est aussi se laisser émerveiller par la flore, la faune et tout ce qui nous environne. Ce trésor est à partager avec nos semblables.

 Avez-vous pensé à publier une collection de livres pour faire raconter votre joie de partager les merveilles du Congo?

Pourquoi pas? Ce serait un brin de bonheur si les moyens financiers et matériels concouraient à la réalisation d’un tel projet.

 Brazzaville est votre ville natale mais c’est Pointe-Noire qui vous fait vivre : une histoire à partager à ce propos?

J’ai fait mes études primaires et secondaires dans les villes de Dolisie et Pointe-Noire. Je ne suis retourné à Brazzaville, ma ville natale qu’à l’université. Et lorsque la guerre m’y a chassé depuis le campus, c’est Pointe-Noire, havre de paix, qui m’a recueilli. J’y ai élu domicile quoique dans mes pérégrinations, je visite de nombreuses villes du globe. Ipso facto, dans mon troisième recueil de poèmes «Vestiges», figure un titre : Ode à Pointe-Noire.

Des voyages qui vous ont marqué et dans quel cadre?

Voyage à Madrid et Ségovie en Espagne en 2017, lors du 35e Congrès mondial de l’Institut International du Théâtre (I.I.T) dont je suis le président national du Centre du Congo. Je citerai aussi mon voyage à Stockholm en Suède pour un festival de théâtre en 2019. Je garde aussi de bons souvenirs d’Accra, Ghana, en septembre 2022, prenant part à la 2e édition des Scènes Émergentes en Afrique. Je n’oublie pas Abidjan pendant la 10e édition du MASA et récemment les villes de Dubaï et Fujairah aux Émirats Arabes Unis à l’occasion de la rencontre du 36e Congrès mondial de l’I.IT.

Quelles sont les forces des associations culturelles de Pointe-Noire? Des améliorations à apporter?

Les associations culturelles ponténégrines sont encore fébriles. Il faut une vraie structuration pour bien s’affirmer et ainsi bénéficier d’un accompagnement tous azimuts en vue d’une professionnalisation de la corporation artistique et culturelle au Congo, en général.

Vous êtes aussi directeur d’une troupe de théâtre : quelles sont les pièces jouées? Les auteurs viennent-ils à vous pour solliciter votre expertise de la mise en scène?

Oui, je suis directeur et metteur en scène de la Compagnie Autopsie Théâtre que j’ai créée en 1996 alors que j’étais encore étudiant. A l’instar des troupes de Molière, de Sony Labou Tansi, nous jouons la plupart du temps des pièces que j’écris, in vivo et in vitro telles : Mon patron n’est pourtant pas un blanc, Tout ou rien, Apocalypse, Hécatombe et remontada, Namentrans.

Mettez-vous votre expertise de la mise en scène au service des auteurs du Congo et d’ailleurs?

Des auteurs congolais, effectivement, me sollicitent pour adapter leurs œuvres au théâtre. Je citerai, entre autres, le cas de Ninelle N’siloulou avec son roman «Et que tombent les masques». Nous avons également déjà mis en scène les pièces d’Antoine Letembet Ambily : «La femme infidèle», d’Amadou Koné : » De la chaire au trône», de Marcel Pagnol : » Topaze».

Des distinctions, des prix?

J’ai été récipiendaire du Prix international de poésie Tchicaya U Tam’ Si en 2001, du Prix Tchikunda de meilleur écrivain en 2003, du Prix Sony Labou Tansi du théâtre en 2021, du Grand prix du Forum des musiciens, artistes et écrivains du Congo Brazzaville.

Comment l’art s’est-il ancré dans votre vie? Un héritage familial que vous transmettrez aussi à vos enfants?

Ma passion pour l’art remonte à ma tendre enfance. J’étais très fort en dictée, rédaction, dissertation. Mon professeur de philosophie en première, au lycée, annotant une de mes copies de devoir, écrivait : vous feriez mieux d’être écrivain. Mon père savait manier la rhétorique et ma mère, polyglotte, était une narratrice hors pair. J’ai beaucoup hérité d’eux. Avec mon expertise en littérature et en arts de scène, je veille à la transmission auprès de ma progéniture. J’avoue consacrer aussi du temps à former nombre de mes compatriotes.

Quels sont les acteurs culturels et artistiques qui vous éblouissent, d’ici ou d’ailleurs?

Molière, Victor Hugo, Paul Verlaine, Tchicaya U Tam’ Si, Sony Labou Tansi, Tati Loutard, Henri Lopes, Guy Menga, m’ont beaucoup inspiré. Wole Soyinka, Emmanuel Dongala, Alain Mabanckou sont un point de mire pour moi. Mais Léopold Pindy Mamonsono demeure celui qui a balisé mon itinéraire littéraire et artistique.

Des projets en cours?

Affirmatif. Il se tiendra à Brazzaville et Pointe-Noire du 26 au 30 mars 2024 la 7e édition du Festival International du Théâtre et Autres Arts de la Scène (FITAAS)   dont je suis le directeur. Je projette aussi la publication d’une nouvelle pièce et d’un recueil de nouvelles.

Des conseils, des souhaits pour que vive la culture?

Je fais le plaidoyer que l’artiste vive de son art, de même que le menuisier, le couturier, l’architecte, l’avocat, le pilote sont rémunérés. L’on doit changer de paradigme en matière de culture. Que les pouvoirs publics s’y investissent en premier et que viennent à notre rescousse les mécènes, les sponsors! Nous voulons voir fleurir des infrastructures culturelles et artistiques (amphithéâtres, bibliothèques, instituts de formation, …). Mutatis mutandis, les industries culturelles forgent les esprits, génèrent des emplois, contribuent efficacement à l’essor d’une nation. Sous d’autres cieux, c’est bien perçu et l’on se développe avec au quotidien.

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda