NSILOULOU NINELLE – J’écris pour crier mes douleurs

Marie-Léontine Tsibinda Bilombo

NSILOULOU NINELLE – J’écris pour crier mes douleurs

 

NSILOULOU NINELLE – J’écris pour crier mes douleurs

 

Ninelle Nsiloulou est une jeune dame qui porte plusieurs casquettes dans la vie. Une vie qu’elle croque à pleines dents. Ainée d’une famille modeste de quatre enfants, elle vit aujourd’hui en couple et est maman, en plus de s’essayer à l’écriture et d’avoir une vie professionnelle bien remplie. Elle remercie le ciel tous les jours pour ce pan merveilleux de sa vie.

Dans la vie de tous les jours vous travaillez à Bureau Veritas Congo, que faites-vous exactement?

Je travaille chez Bureau Veritas Congo depuis mai 2019, en qualité de Human Resource Manager. Quand je rentre à la maison, je suis la maman puis la compagne. Je ne m’arrête pas de travailler en fait. C’est à se demander quand est-ce que je trouve le temps d’écrire.

En marge de ce poste, vous vous lancez dans la création littéraire et votre première nouvelle parait dans AMINA, un magazine féminin publié à Paris. Qu’aviez-vous ressenti en lisant votre nouvelle dans ce magazine? Comment êtes-vous entrée en contact avec Amina?

Beaucoup de fierté, la poitrine qui se gonfle, les papillons dans le ventre. C’était incroyable, la réalisation d’un rêve. Je lisais beaucoup le magazine avant, notamment la rubrique Nouvelles avec son nouvelliste historique ‘’Isaie Biton Coulibaly’’ et là c’était mon nom à la place!

Ma première nouvelle chez Amina a été publiée en 2004 à la suite d’une correspondance avec la rédactrice en chef de l’époque, Assiatou Bah Diallo. Pour moi, plus qu’une publication, c’était une révélation. J’ai toujours été un peu audacieuse et j’ai donc pris mon stylo et une feuille et j’ai adressé une correspondance à la Rédactrice en Chef avec ma nouvelle en pièce jointe. Qui ne risque rien n’a rien, dit-on. Elle m’a fait confiance je pense en toute sincérité. J’ai reçu une réponse avec quelques corrections à faire puis vous connaissez la suite.

L’aventure Amina n’est pas la seule connue en 2004. J’ai participé au concours scénarios d’Afrique, un projet de mobi­li­sa­tion com­mu­nau­taire, d’éducation et de médias sur le VIH/SIDA, mis en œuvre avec et pour les jeunes dans le but de permettre à la jeune géné­ra­tion d’expri­mer ses idées face à la mala­die en l’invi­tant à par­ti­ci­per à la pro­duc­tion d’une col­lec­tion de films réa­li­sée par des cinéas­tes de renom­mée mon­diale. Mon idée a été retenue avec celles de 7 autres compatriotes africains, pour la mise en scène du film ‘’Les raisons d’un sourire’’ de la scénariste Regina Nacro. Voir mon nom défiler dans le générique d’un film, c’était une immense fierté.

De quoi parlait votre nouvelle?

D’amour bien entendu. J’avais l’âge où l’on ne sait pas encore que la vie n’est pas toujours rose. Que même dans un monde idyllique, le ciel est parfois gris. J’ai beaucoup écrit sur l’amour pendant cette période.

Et d’autres nouvelles ont suivi : quels sont les thèmes les plus récurrents de vos nouvelles ou romans : violences faites aux femmes, souci d’une écologie bien portante…?

J’ai écrit une vingtaine de nouvelles pour Amina : Je suis d’elle, La dispute, Ma vie à 40 ans, Une affaire de famille, Monnaie de singe… Aussi bien dans ces nouvelles ou dans mes trois romans j’évoque divers thèmes variés allant de l’amour à l’abandon en passant par l’amitié, les rapports familiaux, les violences faites aux femmes, la religion et plusieurs faits de société. Avec un penchant pour les faits de société et les violences faites aux femmes parce que j’ai l’impression que nous vivons dans des pays pour ne pas dire dans un monde qui perd ses valeurs un peu plus chaque jour, et nous avons tendance à normaliser des choses qui sont anormales.

Pas que j’ai une solution à tous les maux de la société avec mes simples mots. Je suis persuadée qu’en parler, dénoncer peut réveiller des consciences, peut faire changer les choses. Il n’y a pas de petite victoire, alors tant qu’à faire, je prends mon stylo et j’écris.

Et que dire du recueil Infortunat?

Infortunat, mon second recueil de nouvelles. Un recueil d’une vingtaine de nouvelles publié en 2015 chez Edilivre.  Beaucoup d’amour comme thème, de déception amoureuse, de trahison et d’abandon.

Vous jonglez entre nouvelle et roman et vous aviez publié Innocence volée, est-ce l’histoire de la maltraitance de la femme?

J’adore ce jonglage. Le titre de ce roman est un leurre parce que la majorité pense tout de suite aux violences faites aux femmes, notamment le viol ou la maltraitance. Quoi que ces thèmes soient abordés avec le mariage forcé de la mère de la narratrice ou du ping pong physique et émotionnel que subit l’une des amies de cette dernière, Innocence volée c’est avant tout une histoire d’abandon et de pardon. Une petite fille de dix ans qui doit affronter la vie comme une adulte avec toutes les conséquences que cela implique et qui perd l’innocence de sa jeunesse. Elle ne pourra pas vivre une enfance comme tous les autres enfants de son âge. Cette fille a été abandonnée par son père sexiste et se voit une nouvelle fois abandonnée par son mari. Elle lutte contre la vie que le destin lui a imposée et essaie de toutes ses forces de changer les choses afin que l’histoire ne se reproduise pas avec sa fille.

  Innocence volée, c’est aussi un appel au pardon. Peut-on tout pardonner?

Et que tombent les masques est votre toute dernière publication : l’évocation des masques se réfère-t-elle à la pandémie planétaire qui secoue le monde? Ou tout autre piste mystérieuse?

J’ai envoyé le manuscrit de ce roman à l’éditeur début 2019. Initialement intitulé « L’éternité d’un instant », j’ai modifié le titre avant de le soumettre aux Editions Acoria. Le roman a été publié en novembre 2020 et son titre s’est avéré prémonitoire si on peut le dire. L’évocation des masques n’a rien à voir avec la pandémie mais plutôt avec la nature humaine. Toutes ces personnes qui nous entourent sans pour autant révéler leur réelle personnalité! Le masque représente ici cette fuite de responsabilité. Nous nous retranchons derrière des raisons échappatoires, toujours à nous trouver des excuses pour ne pas affronter la réalité.

Mais comment donc est née votre passion pour l’écriture : une muse nommée maman, un auteur particulièrement admiré, une imagination débordante? 

L’écriture est un rêve inassouvi de ma mère. Elle aimait lire et écrire aussi. J’ai eu à lire des brides de ses écrits et bien que je n’aie pas de talent de critique littéraire, je les trouve bons. Elle aurait voulu les faire lire, hélas. Je me fixe l’objectif de réaliser ce vieux rêve et ma mère est devenue ma muse, en sus d’être ma relectrice attitrée.

En dehors de cela, on peut dire que j’ai beaucoup d’imagination également mais a-t-on vraiment besoin d’imagination lorsqu’on vit dans un pays comme le Congo ? On peut écrire tout un roman en passant la journée dans les rues de la ville, en ayant fait un bout de trajet dans un transport en commun ou en faisant ses courses au marché. Je pense même que c’est la raison pour laquelle il y a autant d’écrivains au Congo

Quelle sorte d’enfant étiez-vous : rêveuse, indépendante?

J’ai été une enfant rêveuse, très timide et indépendante. Je vivais, je vis toujours d’ailleurs dans mon petit monde de poupée où tout est beau. Je suis Alice aux pays des merveilles en quelque sorte. Et paradoxalement, je garde les pieds sur terre. Très indépendante depuis toute petite. Comme je l’ai mentionné tout au début, je suis l’ainée et donc celle qui doit montrer l’exemple tout en n’ayant pas forcément moi-même eu d’exemple. Cela a forgé mon caractère et ma détermination. Lorsque je veux quelque chose, je me donne les moyens pour atteindre mon objectif. Cela peut prendre du temps et on dit que la patience est la longueur du temps!

Souvent on dit que la femme est marginalisée, écartée des pouvoirs, elle doit se battre pour mériter sa place dans le concert des nations, se battre pour ses droits, êtes-vous de cet avis?

Cela semble étonnant qu’on parle de ce sujet au XXIème siècle, hélas c’est vrai. C’est d’ailleurs de ce constat et de ces batailles qu’est née la journée internationale des droits de la femme. C’est triste de voir que dans notre pays, cette journée soit banalisée et réduite à une journée commerciale ou à une fête du pagne. L’égalité des chances n’est pas monnaie courante dans toutes les sociétés. On parle encore de droits de cuissage, de promotion canapé et autres comme si les compétences intellectuelles d’une femme ne suffisaient pas pour se faire une place au soleil. « La lutte ne nous a pas encore libérées ». D’un côté, on nous parle de parité, mais de quelle parité ? Les pourcentages des femmes dans les institutions sont très bas. On nous parle de promotion, promotion par rapport à quoi, à qui ? On doit vraiment se poser les bonnes questions.

D’un autre côté, les femmes mais aussi certains hommes, mais comme nous abordons le sujet dans le sens de la femme, je dirai donc que la femme aime être spectatrice, elle suit le sens du courant comme un poisson. Elle n’ose pas mettre la main dans le cambouis. La conséquence est immédiate et lorsqu’on ne prend pas le lead de son destin, tout naturellement on le subit.

La femme dans la création littéraire : une victoire ou un cheminement naturel dans l’histoire des hommes?

Sans polémique, un cheminement naturel dans l’histoire.

Et si on vous disait : Pour qui et pourquoi écrivez-vous? Pourquoi en français pas en langues de chez vous, que répondriez-vous?

Kikongo kia nzebi zonza. Kia nzebi soneka mpe (Je sais parler et écrire Kikongo, rires)

Je suis originaire du sud du Congo, notamment du Pool et mes parents sont Bakongos, Laris pour être plus explicite. J’ai grandi en jonglant entre le lari, ma langue maternelle et le français, la langue officielle du Congo. J’ai eu la chance de faire mon catéchisme en Kikongo, ce qui m’a permis de bien comprendre et d’apprendre à écrire en Kikongo. Donc écrire en kikongo ne serait pas un problème pour moi. Je suis très fière de mes origines.

Nous autres congolais avons un complexe d’infériorité. Nous avons du mal à être fiers de nous et de nos cultures que nous avons du mal à valoriser et à défendre. Lorsqu’on parle une langue maternelle, on est traité de villageois, de citoyen peu évolué. Nous préférons parler la langue officielle, celle du colonisateur. Ce fait a pour conséquence la non-appropriation, voir la disparition de nos langues vernaculaires. Si j’écrivais en Kikongo pour une population qui ne le parle pas, qui ne le comprend pas et ne sait pas le lire, quel serait la destinée de mon œuvre ?

De plus, si j’écrivais en langue vernaculaire, mes écrits seraient limités à une catégorie de lecteurs, or j’écris pour tout le monde. Tous les individus sans distinction de race, d’âge, de sexe et de statut social.

J’écris pour dénoncer les maux de la société avec mes mots, pour réveiller les consciences et porter ma pierre à l’édifice du changement des mentalités. J’écris pour crier mes douleurs.

Des projets? Des souhaits?

J’ai les projets plein la tête et pas assez de temps et de moyens pour les réaliser. Je profite de l’occasion pour lancer un appel à tous les écrivains ou personne lambda qui aimerait nous aider dans nos différents projets.

Pour cette année, j’ai un roman en cours de rédaction qui sera publié, en fin d’année ou l’année prochaine.

En marge de cela, mon roman Et que tombent les masques a été adapté au théâtre et sera joué au festival international du théâtre, ici à Pointe-Noire par la troupe « Autopsie » de Lewalet Mandah. Le festival se tiendra du 24 au 31 mars 2023.

Dans le but d’emmener le livre vers les lecteurs et particulièrement les enfants défavorisés, une jeune demoiselle m’a fait la très bonne proposition de faire des lectures de contes dans les orphelinats et centre d’insertion sociale.

Je souhaite également, si le temps me le permet, organiser des séances de discussion online autour de mes œuvres et pourquoi pas organiser un petit concours de nouvelle donnant suite à quelques-uns de mes nouvelles.

Et le plus gros de mes projets, c’est de mettre en place une bibliothèque composé dans le 70% d’auteurs Congolais afin que nos enfants découvrent nos auteurs et arrêtent de penser que tous les écrivains congolais sont morts et ceux qui sont en vie, vivent en Europe…

Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo