PAUL DAKEYO – Un peuple debout et sûr de sa victoire finale
PAUL DAKEYO – Un peuple debout et sûr de sa victoire finale
Des voix venues d’ailleurs
Par Yves-Jacques Bouin
Le poète Paul Dakeyo est né en 1948 au Cameroun, à Bafoussam. Il a une formation de sociologue. Il publie son premier recueil de poèmes en 1973. En 1980, il crée les éditions Silex, qui deviendront plus tard Nouvelles du Sud, puis Panafrika/Silex Nouvelles du Sud. Cette maison d’édition est basée à Dakar. Elle publie environ une quinzaine de livres chaque année. Paul Dakeyo depuis quelques années circule entre l’Afrique et la France. Il réside actuellement en Mauritanie.
Paul Dakeyo, poète engagé, a publié une œuvre forte de nombreux volumes : Les Barbelés du matin, Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1973, Le Cri pluriel, Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1976, Chant d’accusation, Saint- Germain-des-Prés, Paris, 1976, Espace carcéral, Saint- Germain-des-Prés, Paris, 1976, Soweto : Soleils fusillés, Droit et Liberté, Paris, 1977, J’appartiens au grand jour, Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1979, La Femme où j’ai mal, Silex, Paris, 1989, Les Ombres de la nuit, Paris, Nouvelles du Sud, 1994, Moroni, cet exil, Silex/Nouvelles du Sud, Yaoundé, 2002, Les voix de l’absence livre à deux voix avec Évelyne Vincent Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud 2019. En collaboration avec d’autres auteurs, Dakeyo a réalisé plusieurs anthologies de poésie africaine : L’aube d’un jour nouveau, consacré aux poètes sud-africains, Poèmes de demain, anthologie de la poésie camerounaise,
Poésie d’un continent
et Monsieur Mandela.
Deux rendez-vous :
1977 : Paul Dakeyo publiait Soweto : Soleils fusillés. En 1978 une lecture-spectacle avait lieu à l’UNESCO, à laquelle je participais aux côtés d’autres musiciens et comédiens, dont Sidiki Bakaba, Danièle Chanover, Guillaume Corréa, Ricardo d’Afrique, Liliane Voldman… Ce spectacle était mis en scène par Jean-Baptiste Tiémélé, lui-même poète, conteur et comédien.
2013 : Monsieur Mandela, une anthologie parue en 2013 aux éd. Panafrika/Silex-nouvelles du Sud. (368p. où Dakeyo réunit les voix de cinquante poètes de diverses générations et de divers pays d’Afrique Noire, du Maghreb, des Antilles, et de Belgique, de France et de Suisse) En mai 2013, un spectacle fut présenté à Paris, Centre Mandapa, réalisé à partir de cette anthologie ; poètes, musiciens, danseurs, chanteurs, plasticiens, participèrent à cette création, à l’initiative de l’association « Le chant du Souffle », en collaboration avec le Centre Mandapa et la 12e Biennale internationale des poètes en Val de Marne. Ces manifestations étaient organisées dans le cadre d’un grand échange culturel France/Afrique du Sud. La réédition de cette anthologie en 2014, nous offrit l’opportunité, Paul et moi, de nous retrouver au Marché de la poésie, après bien des années.
Extrait de CHANT D’ACCUSATION
Au bout de ce frêle matin d’été
Je veux parler au plus grand nombre
Jusque dans la transe finale
Avec mes yeux fixés sur l’horizon
Comme de grandes sueurs pétries de séismes
Avec des rêves durs aux longues insomnies
Sur ma terre en mètres souples.
*
* *
J’appartiens au grand jour
Avec ma parole fidèle
J’appartiens à ma terre
Avec mon chant qui résonne
Par les rues silencieuses
Avec le soleil porté sur ma tête.
Extrait de ESPACE CARCÉRAL
Je veux parler avec les miens
Avec mon peuple
Qui lutte aux quatre coins
Du monde.
*
* *
Combien sont morts en exil
En prison ou en déportation
Sur ordre du Président
Et de ses gardes bien armés
Semant le deuil de part en part
Sur ma terre assiégée.
*
* *
Mais il y a des morts
Sur ma terre sans défense
Et des têtes tranchées
Sur les places de village
Il y a des louanges
Au Président Pétries du sang
De mon peuple.
*
* *
Mais en moi
Regerme l’espérance
Ma voix sortie de la nuit
Porte la tempête
Comme un chant
D’accusation
En attendant la liberté.
*
* *
Je suis le poète
L’insaisissable rebelle
L’ami le frère l’amant
Des hommes qui meurent
Dans la brousse
Des hommes qui tombent
Dans les sierras
Ou sur les plages immenses
Avec des cris déchirant le silence
De la nuit noire
Qui les enveloppe
Comme un épais linceul.
Extrait de SOWETO : Soleils Fusillés
Dis-moi
Combien d’enfants sont morts
Á Soweto Combien ?
Pour affronter Johannesburg
Et ses morgues
Pour affronter la terre profonde
Et chercher la parole
Et chercher des visages
Ne trouver que des ombres pâles
Ne trouver que la mort
Parce que ces enfants étaient noirs
Parce que ces enfants étaient noirs
Comme à Sharpeville
L’homme est sorti de la nuit
Avec ses mains innombrables
Avec cent mille pavés Juste à l’aube précise
Qui martèle le temps
Comme un glas
Avec le sang les larmes
Le lot des enfants du pays
Les pleurs les pleurs les pleurs
Dans la nuit du silence
La nuit amère
Et l’instant nominal de l’holocauste
Le feu le sang
Partout
Dans les rues de Soweto
Où l’horizon
S’habille de deuil
Et sème la haine
Et la rage Parce que ces enfants étaient noirs
Parce que ces enfants étaient noirs
Je veux qu’on me donne un fusil
Pour armer ma peine
Je veux qu’on me donne la parole
La fleur l’amour infini
Et surtout Faites que je n’entende plus
Les pleurs des enfants de Soweto
Extrait de J’APPARTIENS AU GRAND JOUR
J’appartiens à ma terre
Avec ma voix de métal clair
Aux grands murs de silence
J’appartiens au soleil
Qui traîne mon angoisse
Dans le sable lisse de l’exil
Le long du temps
J’appartiens au grand jour
Qui dit tout haut
Mon nom ma naissance
Et ma parole de feu
*
* *
Va travailler Nègre
Va travailler comme ton frère
Jadis dans les champs de canne
Va travailler Nègre
Comme ton frère dans les mines
Comme ton frère dans les ports
Comme ton frère dans nos villes
Traînant son balai
Traînant ses boulets
Traînant ses peines
Va travailler Nègre
Va travailler pour encenser nos ripailles
Va fonctionner
Va travailler
Va te crever Nègre
Et si tu ne meurs avant
Nous t’enverrons dans nos sanatoriums
Et si tu ne meurs avant
Nous t’enverrons dans nos asiles
Va travailler Nègre
Va travailler
Peine et crève comme ton frère
Dans les ports dans les mines
Comme ton frère jadis dans les champs de canne
Va travailler Nègre
Crève Nègre pour nos cités crématoires.
*
* *
Je veux être l’amant
De ma terre
Je veux être l’amant
De la mer
Je veux être eau
Et sable dans le sable clair
De nos plages
Je veux être les mots oubliés
Les mots nus et fraternels
Du passé Je veux être les mots
De l’amour sans bride
Et le sang allumé du jour.
Extrait de LA FEMME Où J’AI MAL
Nous marchons vers les étoiles
pour les habiter
jusque-là où ne s’aventurera
jamais l’absence
je vais tailler pour demain
un chant à la femme où j’ai mal
*
* *
Je voudrais pourtant éviter la déroute
et le chaos entre rêve et absence
pour ne plus battre que d’un cœur
demain peut-être
Nous reprendrons le train de nouveau
je serai toujours ton homme couleur de nuit
hors l’horizon qu’un crépuscule irise
je sais que je porte un long sanglot
mais l’aube m’apportera ce que j’espère de toi
entends-tu le jour qui parle en silence
la vie n’est peut-être au fond qu’un écho
ivre au feu du temps qui se lève
je m’en vais laissant l’empreinte
de nos amours
traînant l’ombre qui m’exaspère
au fil des trottoirs de l’exil
je m’en vais
avec un peu de toi dans mon cœur
Extrait de LES OMBRES DE LA NUIT
Je ne retrouve même plus les chemins de mon enfance
Quel vertige a décrépi le temps
Qui s’échoue à l’ombre de nos regards
Forgeant des mots pour d’autres histoires
Celles qui effacent le goût amer de l’oubli
Mais le temps se mêle au rêve
Pour nous créer silex
*
* *
Je ne suis qu’une étincelle de silex
Et tu m’entoures de tes ondes
Loin de mes limites loin de mon être
Et je te recrée fleuve pour voguer sur d’autres rives
Mais au-delà de tes yeux
Le soleil crucifié désormais envahira la maison
Miroir brisé
Où les reflets des années accentuent la courbe du temps
*
* *
J’attendrai derrière les collines de la nuit
Habillé de tous mes archipels rebelles
Pour suspendre le temps
Et voir le soleil debout
Je suis un NEGRE SILEX tu le sais
Dans LES OMBRES DE LA NUIT
Extrait de LES VOIX DE L’ABSENCE (voix de Paul Dakeyo et d’Evelyne Vincent)
Il y a très peu à t’apprendre
je le sais
et je veux que tu m’emmènes plus loin que le temps
au bout d’une île perdue
où le soleil modèlera nos corps
il le faudra
après toutes ces années de blessures verrouillées
ce que nulle autre ne parviendrait à délivrer
mais quelles strates nous habitent
j’épouserai pour sûr le jour
et le minerai noir
pour que tu ne sois plus l’entrave des nuits
sous d’autres cieux
mais seul chant
de ceux qui naissent au grand jour
pour habiter le poème.
*
* *
Je cherche ton regard
et ton regard me happe
nos regards se dévorent
tandis que bien plus bas
nos corps abandonnés
nocent interminablement
*
* *
Après le chant j’entonnerai le silence
parmi les hommes au cœur d’ennui
et tu seras l’essence de l’été
*
* *
Ce soir mon corps est lourd
et ton absence est douce
car je te porte en moi
mer sans houle
miroir sans reflet
Trois questions à Paul Dakeyo :
YjB : Bientôt cinquante ans que ton « cri » est apparu dans l’univers de la poésie, avec un éclat magnifique. Pour toi, poésie et engagement n’ont fait qu’un. Les titres de tes recueils le révèlent. Tes poèmes le revendiquent. Par ailleurs, ta pensée porte le désir d’une union de tous les pays d’Afrique. Le nom de ta maison d’édition le met en avant : Panafrika/Silex-Nouvelles du Sud. Quel est aujourd’hui l’espoir et la puissance que tu confies à la parole poétique, la tienne et celle de la nouvelle génération, face à la puissance politique, aux massacres encore, aujourd’hui, perpétrés ?
Paul Dakeyo : Pour répondre à cette première question relative à ma poésie et à mon combat, je commencerai par citer Gabriel Celaya “ LA POÉSIE EST UNE ARME CHARGÉE DE FUTUR “La poesia es un arma cargada de futuro. C’est pour moi, la quête de l’absolu, du beau, du primordial dans une espèce de catharsis personnelle, allant du champ général au champ particulier. Dans cette quête du beau, je parle d’un vaste projet poétique et politique pour un monde fraternel et humain, un monde aux dimensions immobiles, lavé de sang versé et des complices que nous nommerons au grand jour, pour revenir sur notre terre hypothéquée par les satrapes et autres complices : Généraux, colonels, Capitaines, frères ou cousins de hauts dignitaires, injustement installés aux Commandes de notre terre les cireurs de bottes au souffle impur… Nous reviendrons, sans Nord, sans Sud, sans Est et sans Ouest et aucun crime ne sera plus commis. Tous les titres de mes différents recueils de poèmes sont autant de programmes communs pour la libération de nos peuples agenouillés par de piètres petits satrapes qui ont transformé nos États en chefferies. Nous pouvons saluer l’avancée démocratique dans certains pays comme le Sénégal qui a compris l’importance de la Culture dans l’Économie au XXème siècle. Ce pays doit donc nous doter « Des ARMES MIRACULEUSES » du « GRAND NÈGRE FONDAMENTAL » pour aller de l’avant. Jusqu’à la liberté.
YjB : Au milieu de cette parole de combat, l’amour, le rapport à la femme, sont exprimés en permanence dans ton univers poétique. Il est souvent question de corps, de mains, de terre. De séparation également, l’exil et la séparation de la femme sont liés dans tes écrits. Le mot femme côtoie souvent le mot silex. Je ne peux m’empêcher de réunir deux notions : l’anagramme exils et silex et exil que l’on peut entendre également ex-il. Que veux-tu exprimer à ce sujet ?
Paul Dakeyo : Il y a certes pêle-mêle dans ma poésie, une incessante présence des éléments cosmiques : terre, mer, vents, ténèbres, soleil, racines, mousse, tempêtes, vents qui me fixent au temps primordial – espèce de voyage initiatique à travers le temps et l’univers où je fixe la Femme dans la durée, en écrivant en tant qu’amant, époux ou père tout simplement. La Femme où j’ai mal est dans ce cas précis, une présence primordiale, de qui je renaissais du chaos, et pour ce, elle est célébrée en tant que telle : un voyage, un sourire, un regard qui est aussi désolation, vide, de la grande clôture de la limitation de mon existence et de mon identité. Ce rapport homme/femme est gravide de promesses d’espoir pour des lendemains meilleurs. Nos enfants sont debout dans la hauteur du matin et prennent les moyens de faire de notre peuple immense, un peuple debout et sûr de sa victoire finale. Ma terre me rive au reste du monde, aux sources claires de l’origine où naît le silex et qu’exile l’anagramme. De la séparation d’avec la nuit, j’ai retrouvé le Grand jour auquel j’appartiens : Avec « mes rêves durs aux longues insomnies », « Ma terre où j’ai mal » – un Acte de vie, armé de pied en cap, pour dire demain, la parole, l’Esperance, fidèlement.
YjB : Récemment, le vocable « nègre » a fait parler de lui, avec le changement de titre du livre d’Agatha Christie « 10 petits nègres » devenu « Ils étaient 10 » ; décision de l’arrière-petit-fils de la romancière ? C’est un mot que tu emploies toi-même à plusieurs reprises dans tes poèmes, ainsi que d’autres comme « Négritude » ou « négraille ». Quelle est ta position à ce sujet ?
Paul Dakeyo : Pour ma part, le mot Nègre est une appellation raciste que nous assumons en tant que telle pleinement, car elle nous a poussés à une prise de conscience d’êtres asservis au service des maîtres blancs et autres collabos de bas étage. Il est souvent employé dans ma poésie : Nègre-football / Nègre-Ping-pong / Nègre-baiseur / Nègre-mauvaises-manières / Nègre-black-mic-mac et que sais-je encore. La Négritude serait donc l’ensemble des civilisations et valeurs nègres que nous assumons pleinement. La Négraille serait du petit monde soumis et bouffon corvéable à merci qui assume son mal être dans un monde dit civilisé.
Nous assumons donc cette part de nous-mêmes, de notre histoire que nous revendiquons ensemble, comme un legs, l’Histoire fera le reste. Je n’ai pas lu « 10 petits nègres » d’Agatha Christie, mais faudrait-il réécrire l’Histoire ? Le titre ne changera rien aux faits clairs et patents. Le monde bouge et change, inéluctablement.
Un poème inédit :
De ce lointain pays de froidure l’on me dit que la terre a tremblé
Haïti ! Haïti mon autre pays profond où je m’enchaîne au silence
Plus dense que la parole plus dense que le chant arrimé à la nuit
Haïti ! Une terre pour 212000 morts sans linceul sous un épais brouillard
Où veillent OGUN et les VODUNS fuyant toute parole vaine
En la seule consolation de la terre
Gris-gris fétiches et tambours piétinés
Alors ne nous restent que les larmes rivières de sang
212000 morts 30 000 blessés
4000 amputés
Quelle terrible équation
Mon cœur pleure et je chante
Haïti ! Haïti des faubourgs et des hommes debout
Debout et dignes sans écho
Haïti Port-au-Prince
Haïti Jérémie Haïti JACMEL
Haïti Petit GOÂVE
La horde de déplacés est partout
INATTENDUMENT partout
À conjurer les jours revêches
À conjurer les nuits verticales
Sans âpreté ni réticence
Haïti qui m’échut à la lisière de mon chant
Tambour GONAÏVES JACMEL
Tambour Cap-Haïtien sens dessus dessous
Mais tambours au pas des fleuves les plus lents
Comme un long passé qui s’incline
Là où la mémoire ne fait plus d’ombre au grand jour
Et pour sûr nous serons de tous les instants
Quand la terre tremblera encore
Pour pétrir les vents d’ailleurs et reconstruire le pays plus beau
Sans MACOUTES sans SATRAPES
Mais avec l’eau
Mais avec la terre
Mais avec le feu
Pour tant de jours
Pour tant de nuits
À l’heure où les rêves s’éteignent
À JACMEL Petit Goâve Port-au-Prince
Dans le sang et dans la sueur
Pour enfanter le néant
Le temps le seul temps qui nous compose évide la mémoire
En cette nuit chaotique qui s’achève
À défaut de prière DIEU EST LÀ
Mais pendant combien de jours
Combien de nuits allons-nous chercher nos morts
Nos blessés
Le silence commencera là
Où les rêves s’effondrent
Le silence des corps morts
Le silence intolérable et solitaire qui fait trembler la voix des morts
Quelques gouttes d’espoir dans un océan de misère
Haïti MÉTELLUS
HAÏTI BRIERRE
HAÏTI DALEMBERT
Mais HAÏTI
Propos recueillis par Yves-Jacques Bouin
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