CLÉMENTINE MANSIANTIMA NZIMBU – La quête de l’identité perdue
Clémentine Mansiantima Nzimbu est Ne-Kongo de la République Démocratique du Congo. Elle a un doctorat-Ph.D. en Études littéraires de l’Université Laval à Québec, au Canada, dans le cadre de la Chaire de recherche du Canada en Littératures africaines et Francophonie. Elle enseigne les Lettres à l’Institut Supérieur Pédagogique (ISP) de Mbanza-Ngungu, au Kongo-Central, en République Démocratique du Congo.
Vous êtes enseignante de français ou d’une filière spécialisée dans les études de langue française ? Disons que je suis les deux par rapport au Programme National de l’Enseignement Supérieur et Universitaire en RD Congo. J’ai étudié à l’Institut Supérieur Pédagogique de Mbanza-Ngungu, au département de Français où j’ai obtenu un diplôme de Graduat (premier cycle) en Français-Linguistique africaine et de Licence (deuxième cycle) en Français. L’objectif de cette filière est de former les enseignants de la langue française et des littératures francophones au niveau secondaire. Les compétences littéraires acquises à l’ISP justifient l’option de ma formation doctorale en Études littéraires au Canada.
D’où vous vient cette capacité d’enseigner ? Je suis pédagogue de formation. Au niveau secondaire, j’ai obtenu mon diplôme d’État (Bac dans le système français) en Pédagogie, option Pédagogie Générale. Et j’ai enseigné au primaire et au secondaire avant mes études supérieures. Comme je venais de le dire, j’ai étudié dans une institution supérieure pédagogique. A ce titre, je suis Graduée et Licenciée en Pédagogie appliquée, respectivement option Français-Linguistique africaine et Français, selon les instructions académiques et le Programme National en RD Congo.
Vous êtes enseignante et aussi religieuse : comment conciliez-vous ces personnages dans votre vie de tous les jours ? Religieuse et enseignante, les deux s’accordent parfaitement. Retenons avant tout que la vie consacrée est un état de vie, tandis l’enseignement est un métier. C’est comme toute personne, célibataire ou mariée, qui enseigne. Je suis membre d’une congrégation religieuse qui travaille à l’édification du règne de Dieu par le dévouement aux œuvres de jeunesse, d’enseignement, aux soins des malades, aux œuvres sociales et à tout autre œuvre apostolique jugée utile dans nos milieux de vie. En ce qui concerne l’enseignement, nous sommes présentes dans des écoles privées et conventionnées, de la maternelle au secondaire. Ma présence dans l’enseignement supérieur et universitaire ne déroge pas à ma mission apostolique. Elle est toujours l’expression de notre charisme.
Vous venez de publier « Calixte Beyala et l’éclatement du noyau familial », une œuvre qui scrute la production littéraire de l’auteure camerounaise. Pourquoi elle alors qu’il y a bien d’autres auteures de talent au Cameroun? Dans l’introduction de mon livre, j’ai expliqué ce choix. D’abord, le premier roman de Calixthe Beyala, C’est le soleil qui m’a brûlée, publié en 1987, avait tellement retenu mon attention que je l’avais choisi comme sujet de mon mémoire de deuxième cycle. L’analyse thématique abordait son écriture de la dénonciation et de la revendication. L’audace de la vision du monde de l’auteure dans cette œuvre a suscité ma curiosité, et explique, par conséquent, mon intérêt. Ensuite, la pertinence d’une abondante œuvre, seize romans à ce jour, et d’une écrivaine très médiatisée, qui suscite à la fois fascination et répulsion, a justifié mon choix pour examiner l’interaction, au cœur de ma thèse de doctorat, de deux thématiques : l’éclatement du noyau familial et le discours sur la collectivité. Ne perdons pas de vue que le livre est né de ce projet de recherche doctorale. En bref, le choix porté à l’œuvre de Beyala s’explique à la fois par les fulgurances de la trajectoire de l’écrivaine, sa position dans le champ littéraire et ses prises de position.
La thématique de la famille qui s’effondre entraîne-t-elle des troubles dans la nation, la communauté et le clan familial ? Naturellement. J’ai traité de la thématique de l’éclatement du noyau familial. Cette expression est prise, ici, dans un sens très large, selon le principe, qu’en se mariant, les conjoints s’engagent à vivre ensemble, et à élever, le cas échéant, leurs enfants. L’abandon de l’un ou de l’autre, quel que soit le motif, est une entorse à la famille nucléaire. Et chez Calixthe Beyala, il est frappant de constater à quel point l’éclatement du noyau familial occupe presque le devant de la scène de ses romans. La configuration des familles éclatées dans mon corpus de base varie selon les angles d’approche : absence parentale, famille monoparentale, famille biparentale, famille polygamique, famille recomposée, couple mixte. Dans l’ensemble, la place des parents biologiques est mise en cause. La famille nucléaire étant la structure de base dans toute société humaine, cette composante fondamentale est censée protéger ses membres, favoriser leur développement intégral, et leur solidarité. Dans le vécu quotidien, cette première institution sociale se soustrait souvent à ces exigences. Beyala s’inspire donc du dysfonctionnement du noyau familial pour dénoncer la déchéance de la société moderne, et africaine en particulier.
En choisissant cette auteure, voudriez-vous montrer combien importantes sont les dénonciations, les revendications des femmes dans nos sociétés ? Et sans doute chercher des solutions pour rétablir l’ordre renversé ? L’écriture est le moyen idéal par lequel les femmes revendiquent à la fois leur existence et leur droit à la parole. Elles prennent la plume pour tuer le vide du silence perpétué par l’ordre phallocratique dans nos sociétés. La manifestation de la femme constitue une véritable révolution dans le champ littéraire africain. Les écrivaines n’ont pas pour préoccupation exclusive le rôle de la femme au sein de la famille, mais elles élargissent leur interrogation aux rapports entre les individus dans les strates sociales. Beyala avait fait une entrée fracassante dans le champ par le meurtre de l’homme avec C’est le soleil qui m’a brûlée, une satire contre la dictature masculine et une revendication des droits de la femme. Avec ce roman, la révolte et l’indignation de la femme se transforment en légitimation de la violence par l’héroïne qui assassine l’homme qui l’a violée. Ce meurtre, qui symbolise également l’élimination de la figure paternelle absente du noyau familial, caractérisera par la suite la quasi-totalité de la fiction de Beyala. Il annonce toute une vision centrée sur la femme et l’enfant, visible à travers la récurrence de l’éclatement du noyau familial. Et, d’un roman à l’autre, la romancière accentue sa singularité par le rabaissement de l’homme, déserteur de son foyer, au sens propre comme au figuré. Dès lors, la romancière montre la place de la femme dans la société, ses compétences, ses aptitudes à pourvoit aux besoins de la famille. Beyala est engagée pour la cause de la condition humaine. Ses prises de position sur la condition faite à la femme sont reprises dans sa Lettre d’une africaine à ses sœurs occidentales, un pamphlet féministe. Toute son œuvre est ainsi marquée par la pensée féministe.
Peut-on dire que l’ordre renversé vient du fait que les femmes deviennent chefs de famille et non plus protectrices du noyau ? Les textes de Calixthe Beyala montrent comment l’homme est le premier responsable des maux qui ruinent la société. Ils soulignent le décalage entre la prétention de ce que l’homme promet et la réalité des faits. Les narratrices esquissent ses portraits moral et physique dévalorisant et faisant de lui tantôt un personnage vulgaire, avec ses penchants effrénés pour les plaisirs sexuels; tantôt une bête féroce qui exerce sa violence physique et verbale sur la femme. L’abandon de l’homme plonge la famille dans la précarité, affecte et fragilise la femme, génère aussi des tensions entre la mère et l’enfant. Mais en dénonçant les travers de l’homme, la romancière démontre la bonté, la force et le pouvoir de la femme. Celle-ci apprend à lire et à écrire dans l’espoir de se faire prévaloir. Elle accumule des capitaux importants, revendique ses droits sur la propriété familiale. Ce qui rend l’homme dépendant, mais le transforme en même temps.
La dérision, un trait profond dans l’œuvre de Beyala. La fiction de Beyala tourne ainsi en dérision les mythes de la domination masculine. Le renversement des rôles, l’inversion des rapports entre l’homme et la femme se présentent de plusieurs manières. Ainsi, les romans de Beyala montrent que la femme est dotée des dispositions qui lui permettent de se distinguer dans son milieu de vie. La suprématie longtemps reconnue à l’homme est ici attribuée aussi à la femme. Beyala remet en question la division fondamentale entre l’homme et la femme. A la place d’un féminisme radical, elle prêche plutôt la différence-égalitaire entre les deux sexes.
Quelle est la place de l’enfance dans l’œuvre de Calixthe Beyala ? Le trait caractéristique commun dans les textes de Beyala, ou précisément de mon corpus, est la destinée de l’enfant, première victime de l’éclatement du noyau familial. L’enfant est privé de ses droits, témoin des vices et perversion, traumatisé dans une cellule familiale aliénante, mal dans sa peau. Il est donc difficile de traiter de la condition faite à la femme sans parler de l’enfant. Il pose le problème de cohésion du foyer liée à la crise de l’autorité parentale. Chaque diégèse est une tentative de réponse particulière au rôle attribué aux membres de la famille. Beyala a connu une enfance pauvre, sans repères. Elle a intériorisé son déclassement social qui surgit inconsciemment dans sa fiction.
Femme et enfance, un duo de douleur ou un dynamisme à toutes épreuves ? À l’aide de récits rétrospectifs, les narratrices de Beyala reviennent sur leur enfance. Elles évoquent les difficultés de leur parcours d’enfant bâtarde, abandonnée, orpheline, adoptée ou abusée par le parent. Dans l’ensemble, les narratrices s’interrogent sur ce que la vie leur a imposé, témoignent de l’irresponsabilité des adultes selon un point de vue subjectif de l’enfant. Le regard critique sur soi et sa sphère sociale justifie l’évocation du passé malheureux. La quête de l’identité perdue se résume à une conquête de l’autonomie pour suppléer le traumatisme subi. L’homme, père ou époux, le plus visé, ne semble pas être un vrai bâtisseur, car le vide qu’il crée constitue le point central de l’éclatement du noyau familial. Les intrigues dévoilent les rapports familiaux complexes. La narration devient un procès contre une société sourde au malheur de cette minorité visible, la femme. Mais pour contrecarrer l’absence de la filiation, la romancière a voulu que le parcours de ses personnages féminins soit marqué par l’autodétermination. La plupart sont des romancières, comme l’auteure, qui racontent ou écrivent leurs propres histoires.
Le passé, un boulet inoubliable ? Le passé douloureux est évoqué au moment de la prise de parole, après que leur destin a basculé, passant de la dépendance à l’autonomie, de l’incertitude à la stabilité, de la précarité aux conditions de vie décentes. La femme finit par dépasser l’état de victimisation pour devenir l’actrice de son propre destin. Les récits montrent ainsi comment, par son effort et son engagement, la femme peut transformer la situation de malheur en condition favorable à son épanouissement. Avant tout, la formation intellectuelle l’affranchit de ses angoisses et frustrations. Chaque personnage principal féminin prend conscience de ses capacités et valeurs morales, passe du déclassement au reclassement symbolique.
Comment ont été vos échanges avec l’auteure ? Il n’y a pas encore de contact avec l’auteure. Les démarches ont été amorcées lors de mon séjour en France. Mais Calixthe Beyala était en Afrique. Notre emploi du temps, un de ses proches et moi-même, ne nous l’aurait pas permis non plus. Finalement, j’avais jugé bon d’attendre la publication du livre, afin de lui offrir un exemplaire, si possible, en mains propres, et éventuellement, à cette occasion, lui poser quelques questions.
Des projets ? L’encadrement de la jeunesse. Un intérêt particulier pour les jeunes filles !
Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo
41 réponses
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