LEANDRE-ALAIN BAKER – Happé par les arts vivants et l’écriture
A l’état civil Léandre-Alain Baker est Léandre-Alain Aloïse Bakékolo, Baker étant un dimunitif comme il est d’usage au Congo Brazzaville. Son père se nommait déjà ainsi. Mais, il ne pense pas que cela soit déterminant : « Un de nos illustres écrivains disait qu’il n’y avait rien de plus hasardeux que l’état civil. » lance-t-il avec humour, quand nous lui disons « Qui êtes-vous Léandre-Alain Baker ? »
Quelles ont été vos autres professions avant d’entrer dans le monde du cinéma ?
Journaliste et comédien. Plus sérieusement comédien, et journaliste en dilettante. Par mes études ça a été d’abord le journalisme et la psychologie pour faire bonne figure. Je me suis également frotté à la philosophie. Mais, en définitive, j’ai toujours été happé par les arts vivants et l’écriture. Je ne sais rien faire d’autre plus sérieusement que d’être en quelque sorte un saltimbanque.
Et l’écriture ?
L’écriture m’est venue très tôt. Orphelin de mère dès mon plus jeune âge, c’était un moyen très subtil de confier mes peines et mes plaintes à la mère trop tôt disparue. Alors, j’écrivais des choses qui ressemblaient à de la poésie, des petits bouts de choses qui se situaient entre poésie, chant et prière. Puis, vers l’âge de 14 ou 15 ans, j’ai composé un recueil d’une vingtaine de poèmes consignés dans un cahier d’écolier dont le titre était, si ma mémoire est bonne, Turbulences, que j’ai soumis par après à un voisin, un grand frère du quartier, Léopold Pindy Mamonsono, qui était professeur d’anglais et poète.
Quelle fut la réaction du professeur Léopold Pindy Mamonsono ?
Quelques jours plus tard, il me reçut chez lui pour me prodiguer plusieurs conseils, je fus surpris par sa bibliothèque et par l’intérêt qu’il portait non à ma poésie mais à ce qu’il y avait de potentiel. Il me lut quelques-uns de ses poèmes et m’invita à en faire autant. Je sortis de là en sachant que ma petite poésie consignée dans un cahier d’écolier n’était pour l’essentiel que des pâles pastiches et une imitation d’auteurs connus. Le professeur Léopold Pindy Mamonsono m’encouragea à continuer et à trouver mon style et mon originalité. Plus tard, j’intégrai une troupe de théâtre Les Frères Tchang dont la particularité était la pantomime. Mais entre deux numéros de pantomime, il me manquait quelque chose, j’avais besoin du dire, de la parole. C’est ainsi que je fus le premier désigné à déclamer de la poésie pour habiller nos tableaux de pantomime jusqu’à finir par monter de vraies pièces de théâtre.
Vous souvenez-vous des pièces montées ?
Je me souviens surtout de la première pièce que nous avions montée Une eau dormante, du dramaturge et romancier Sylvain Bemba que je vais rencontrer plus tard pour lui soumettre, toujours dans un cahier d’écolier, ma première pièce de théâtre écrite qui s’appelait Deuxième bureau. Là encore, je fus invité dans son bureau à Bayardelle, à la Faculté des lettres de l’université de Brazzaville où il officiait comme Conservateur. J’avais 17 ans. Il me prodigua maints conseils et me rendit le manuscrit corrigé à l’encre rouge comme si ce fut une copie scolaire. Inutile de vous dire que ces deux cahiers ont été perdus à jamais dans les multiples soubresauts militaro-politiques que le pays a connus… Et puis, il y a eu le Cercle Littéraire de Brazzaville avec Caya Makhélé et le Théâtre de l’Éclair avec Emmanuel Dongala.
Que se passait-il ou qu’aviez-vous appris de plus au théâtre avec Emmanuel Dongala et au Cercle Littéraire de Brazzaville avec Caya Makhélé : viviez-vous les mêmes émotions dans les deux milieux ?
Oui, j’étais traversé par les mêmes émotions mais à des degrés différents, ce qui m’importait le plus c’est d’être avec des gens avec lesquels j’avais en commun une identité d’âme, nous étions comme une seule et même famille, nous avions les mêmes aspirations artistiques sans barrières aucune, sans considérations ethniques, tribales, régionalistes, générationnelles. Le théâtre de l’Éclair était né de la scission des frères Tchang, entre ceux qui souhaitaient rester dans l’exercice de la pantomime et ceux qui souhaitaient se livrer à la pratique d’œuvres dramatiques d’auteurs contemporains. J’étais des ceux-là. J’en étais même le meneur. Et comme j’étais trop jeune pour imposer mon autorité au reste du groupe qui était constitué de camarades plus âgés, j’étais allé voir le professeur Emmanuel Dongala, un ami de la famille qui revenait des États-Unis où il avait étudié, pour lui demander de prendre la direction de la troupe.
A cette époque-là, Caya travaillait à la médiathèque du Centre Culturel Français qui hébergeait les répétitions de la troupe et, sachant qu’il était poète et dramaturge, je lui avais fait lire quelques-uns de mes poèmes, c’est ainsi qu’il m’avait proposé de le seconder pour constituer le Cercle Littéraire de Brazzaville dont l’acte fondateur fut une exposition, dont l’originalité fut d’afficher des extraits de poésie accompagnés de portraits des poètes en herbe. Autour de ce cercle gravitaient des jeunes écrivains et des auteurs confirmés comme Sony Labou Tansi, Sylvain Bemba, Maxime Ndébéka, Henri Lopès et bien d’autres. Ce faisant, des jeunes auteurs pouvaient soumettre, sans protocole, leurs textes à la bienveillance des aînés.
Comment s’est déroulé ce virage du théâtre au cinéma ? Et depuis que vous aviez changé de profession, quel bouleversement aviez-vous noté dans votre vie professionnelle ?
Aucun virage ne s’est opéré, plutôt un long cheminement. Il y a, à mon sens, un lien entre toutes ces activités évoquées. Si l’on considère que c’est une profession que d’être artiste, alors, je l’ai toujours été.
Vous êtes devenu par la suite un producteur de films : quels sont vos films les plus prisés du public et ceux qui vous ont hissé dans le palmarès des producteurs ?
Je ne suis pas producteur mais auteur, réalisateur, scénariste, metteur en scène et comédien. Il m’est arrivé de m’impliquer comme producteur de certains de mes films, mais c’était souvent parce que j’estimais que le producteur attitré trainait des pieds et qu’il me fallait le seconder pour aller vite.
Pendant longtemps le cinéma américain a dominé le monde : aujourd’hui Bollywood et Netflix marquent aussi le monde du cinéma : comment expliquer cet engouement ?
Le cinéma américain domine toujours le monde et ramène beaucoup plus de devise aux USA qu’on ne le pense. Hollywood est une industrie très florissante. C’est en millions de dollars que se joue le cinéma américain. Bollywood, en Inde, est la première cinématographie du monde par son volume de production, suivi curieusement par Nollywood au Nigeria. Ces deux derniers pays sont des cinématographies moins coûteuses en termes de fabrication et leur marché est essentiellement intérieur et soutenu par leur démographie. Mais c’est l’industrie cinématographique américaine qui s’impose dans le monde entier par sa qualité. C’est même un des seuls secteurs des Etats-Unis qui exporte plus de produits qu’elle n’en importe. Bien que 3ème grand producteur de cinéma, 80% des parts de marché du film au niveau international reviennent à Hollywood. Viennent ensuite, la Chine, le Japon, la France, le Royaume Uni, la Corée du Sud et l’Espagne. Inutile de chercher le Congo dans ce tableau. Nous sommes des nains. Netflix est une plateforme qui contribue à l’hégémonie du cinéma américain, en allant chercher les spectateurs dans leurs foyers sans qu’ils n’aient à aller faire la queue devant les salles de cinéma. Pour ma part, je préfère le cinéma qui se regarde en levant la tête vers l’écran dans une salle obscure que celui qui se regarde en baissant la tête devant le petit écran de son ordinateur.
Existe-t-il des ingrédients qui déterminent un bon film ?
Pour paraphraser Alfred Hitchcock, je dirai que pour réaliser un bon film, vous avez besoin de trois choses : d’abord une bonne histoire, puis une bonne histoire et enfin une bonne histoire. Encore faudrait-il que cette bonne histoire soit teintée d’émotion, d’empathie, de surprises et de rebondissements. D’un bon film, on en sort émerveillé.
Et les écoles de cinéma qui vous marquent encore ?
Je ne crois pas trop aux écoles de cinéma, mais elles ont leur importance comme centres de perfectionnement. On y va pour apprendre quelques rudiments et le langage cinématographique. On y va pour acquérir une technique pas une science. On est peintre où on ne l’est pas. Les plus grands cinéastes au monde ne sortent d’aucune école, ils ont fait d’autres études, suivi d’autres chemins qui les ont menés vers le cinéma. L’inconvénient avec ces écoles, c’est l’uniformisation. Bien souvent, les cinéastes qui en sortent font, formellement, plus ou moins le même cinéma. Mais, je pourrais citer par leur réputation la FEMIS en France qui est la plus grande école européenne de cinéma, la célèbre école de cinéma de Lodz en Pologne d’où sont sortis des réalisateurs de référence comme le controversé Roman Polanski, Andrzej Wajda, Jerzy Skowlimosky, ou même le congolais Gilbert Nsangata, il y a également l’emblématique VGIK l’école de cinéma de Moscou d’où sont issus le sénégalais Sembène Ousmane, les maliens Cheik Oumar Sissoko, et Souleymane Cissé, le Burkinabé Idrissa Ouédraogo et mon ami Abderrahmane Sissako.
Des acteurs préférés ? Un film que vous n’oubliez jamais ?
Je pourrais dresser un top 10 de mes films préférés mais ce serait injuste et pas très objectif. Mais s’il en est un qui sort du lot, ce serait La Femme des sables, un film japonais réalisé par Hiroshi Teshigahara d’après le roman du prix Nobel Kôbô Abé. Un pur chef d’œuvre, un film atypique, hypnotisant et envoûtant. Mes acteurs préférés sont des personnages de la vie réelle, des inventeurs, des scientifiques, des grands hommes politiques, tous ceux qui par leurs découvertes contribuent au bien-être de l’humanité. Au cinéma, je dirai plus communément : Robert de Niro, Al Pacino, Denzel Washington, Marcello Mastroianni, Jean-Louis Trintignant, Romy Schneider, Meryl Streep, Isabelle Hupert, Jodie Foster, Forest Whitaker, Morgan Freeman, Sidney Poitier, je pourrais continuer si on ne m’arrête pas…
Peut-on parler d’une différence fondamentale entre le cinéma africain et le cinéma du reste du monde ?
Le cinéma africain peine à émerger, pour la simple raison qu’il n’est pas compétitif. Il est très peu soutenu par nos États dont les dirigeants préfèrent acheter massivement des armes et s’enrichir personnellement à coup de détournement de deniers publics. Les histoires et l’imaginaire, nous en sommes pourvus pourtant, mais notre cinéma peine à trouver son originalité par manque de scénarios consistants et d’actorat, c’est là qu’il nous faut concentrer nos efforts. En Afrique, il y a la possibilité d’un scénario à chaque coin de rue.
Votre participation à des festivals est-elle un lieu de rencontres, de découvertes, d’échanges, de réflexions ? Comment vivez-vous l’ambiance des festivals ?
Vous savez, les festivals sont comme des foires ou des marchés, on y va pour montrer un film et en voir d’autres. Les échanges, les réflexions, les rencontres se font aux pas de course, très peu sont suivies d’effet. Mais cela reste, néanmoins, des moments très festifs.
Quels sont les thèmes privilégiés du cinéaste que vous êtes ?
Je n’ai pas de thème de prédilection, si ce n’est que je privilégie, en toile de fond, les relations humaines, notre incapacité à vivre harmonieusement ensemble.
Êtes-vous membre d’une association de cinéma ?
J’ai été membre de la Guilde des Cinéastes Africains, j’ai perdu de vue cette association. Autrement je suis affilié à la SACD (Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques) et à la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia. Rien de plus.
Dans chaque profession, on compte des moments difficiles comme des moments heureux :
quels ont donc été vos moments les plus inoubliables ?
L’accueil du public dans les festivals et la réception d’un prix alors qu’on ne s’y attendait pas.
Des distinctions, des prix ?
Oui. Quelques-uns. Mais le but, n’est pas d’engranger des prix, mais de faire des films qui soient visibles et qui incitent les jeunes à prendre la relève et à faire mieux.
Pensez-vous un jour, avec d’autres cinéastes, congolais ou pas, ouvrir une école de cinéma dans votre pays d’origine ?
La libre entreprise étant périlleuse au Congo, cela ne peut se faire que par une volonté politique. Nos pays devraient commencer par soutenir les jeunes cinéastes plutôt que de les laisser livrés à eux-mêmes. Il y a un réel frétillement du cinéma congolais grâce à l’avènement du numérique, mais cela ne suffit pas. Il y a nécessité d’une vraie politique d’accompagnement et de financement.
Des conseils, des souhaits ?
Ténacité et abnégation. Creuser, creuser, creuser sans cesse, jusqu’à ce que jaillisse quelque chose. Mon souhait est que le Congo se dote d’une vraie politique culturelle pérenne, plutôt que d’user de saupoudrage ici et là à coup de slogan.
Un coup d’œil sur votre bibliographie et filmographie ?
Un écrit vaut mille images et une image vaut mille mots !
Bibliographie
Ici s’achève le voyage, roman, édition l’Harmattan
Les jours se traînent, les nuits aussi, théâtre, édition Lansman
L’enfer comme station balnéaire, théâtre, édition Lansman
Le vent secoue la montagne, poésie, édition Dédicaces-Montréal
Ce qu’il faut de sanglot, roman (à paraître)
Immaculée, femme nue devant la porte du néant, récit-monologue en collaboration avec A.M. Celli (à paraître)
Films notables
Ramata, long-métrage fiction, 90 mn
Yolande ou les blessures du silence, film documentaire, 52 mn
Les fiancés d’Imilchil, docu-fiction, 52 mn
Paris, la métisse, fiction-télé, 15x5mn en plan séquence, film collectif
La petite feuille qui chante son pays, documentaire sur le poète Tchicaya U Tam’si, 52 mn
Diogène à Brazzaville, documentaire sur l’écrivain Sony Labou Tansi, 52 mn
Propos recueillis par Marie-Léontine Tsibinda Bilombo
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