MURMURES
Rediffusion de « Rwanda : un nouvel héritage », par Sarah Jacquet et Yvette Jallade Maestroni, France Culture, L’Expérience, le 2 avril 2023 à 22h
avril 2023 | Faits de société | Histoire/société | Rwanda
© Illustration de Marius Buet, Atelier Joann Sfar aux Beaux-Arts de Paris
Au Rwanda, 25 ans après le génocide de 1994, par-delà les morts, la douleur, la colère et l’amertume, les orphelins du génocide se reconstruisent. Ils deviennent parents à leur tour. Une Expérience signée Yvette Jallade Maestroni et Sarah Jacquet.
Sarah Jacquet et Yvette Jallade Maestroni sont allées au Rwanda en 2016 à la rencontre de jeunes rescapés orphelins du génocide. Elles y ont rencontré de jeunes parents, comme elles, et ont parlé avec eux de leur expérience de la parentalité, après que le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 a emporté leur père, leur mère, ou les deux. comment être parents, sans marche à suivre, car ils sont parfois le seul exemplaire qui reste de leur famille : les leurs ont été tués, massacrés, parce qu’ils étaient Tutsi. Ils n’ont pas pu les enterrer. Ce deuil impossible cohabite en eux avec l’énergie du renouveau, de la vie à réhabiliter, de la paix à entretenir. Ils nous racontent leur reconstruction intime. La première fois qu’ils ont aimé à nouveau, comment et quand ils ont à nouveau cru en la vie. Ils nous parlent de ce quelque chose qui manque et qui lancine. Ces proches qui ne sont plus là mais qui ne quittent pas leurs pensées, ces trous béants laissés par les absents et qui resurgissent à certaines étapes importantes de leur vie. Ils veulent écrire un nouvel héritage, pour eux, et pour leur pays. Une vie à broder, sans modèle Ce documentaire raconte l’énergie et le courage hors-normes de ces jeunes parents pour redonner un sens à leur existence quand 25 plus tôt, de manière systématique et organisée, leur légitimité à vivre a été niée, parce qu’ils étaient désignés comme Tutsi. Ce n’est pas un documentaire historique car il n’éclaire ni sur le génocide en lui-même, ni sur sa planification et les conditions qui l’ont rendu réalisable, ni sa perpétration, son coût humain, le négationnisme, les bourreaux et la justice. Il ne parle pas non plus des justes et des sauveurs. Il vient en complément des travaux pour éclairer le devenir des rescapés. Il propose pour la première fois, une approche par cet à côté résultant de l’Histoire, une conversation en confiance au sein de quelques foyers. Des jeunes parents disent, en français et en kinyarwanda, leur combat actuel pour aimer, refaire famille quand la leur a été anéantie. Que transmettre ? Comment déjouer les tours du trauma familial annoncé ? Que dire aux enfants quand il n’y a pas de sépulture où se recueillir, de voisins à interroger et que des informations essentielles manquent sur la disparition de la génération d’avant ? Comment bâtir un équilibre familial et social sur un désastre intime ? Il raconte cet entrelacement entre l’extrême particulier et unique qu’ont vécu les orphelins rescapés dans leur chair quand ils étaient encore enfants (la peur, l’abandon et l’absence de protection, la solitude, le deuil) et l’extrême universel et commun : tomber amoureux et hésiter, se marier, annoncer sa grossesse, attendre un enfant, lui donner un prénom, répondre aux questions de son enfant, prendre sa femme pour sa mère, parler de la mort… Il se passe, pour ces témoins, quelque chose d’originel, une genèse. Dévote, Bonheur, Justine, Paul, Brigitte, Damas, Narcisse, Ange, vivent à Kigali, Nyamata, Nyanza, Gisenyi, en ville et à la campagne. Ils cultivent leur terre, sont maître d’école ou sans emploi. Ils doivent se réinventer, sans modèle, parfois sans souvenir, sans même une photo. Dans la joie, l’espoir ou la crainte, ils se demandent Un possible recommencement. Une vie à broder, sans modèle.
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